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de toute classe, dont les officiers et les matelots étaient presque tous Japonais.

Il est également certain que le Japon s’est créé une armée avec une rapidité qui tient du miracle. Il a adopté le service universel et obligatoire, tempéré par une loi qui, dans l’intérêt du budget, a multiplié à dessein les cas d’exemption. Il peut mettre sur pied près de 200,000 hommes, et s’il en faut croire M. Norman, cette armée, à l’exception de la cavalerie, est comparable aux meilleures troupes européennes. Grâce aux complaisances qu’a eues pour lui le comte Oyama, ministre de la guerre, il a pu voir de près ces soldats ; il affirme que leur tenue, leur discipline, la précision de leurs manœuvres ne laissent rien à désirer, qu’ils pourraient traverser une des grandes villes de l’Europe continentale sans que la foule qui les regarderait passer découvrît dans leur démarche, dans leur tournure, rien de singulier ou d’exotique. Aussi pense-t-il que si la Mer du Sud devenait le théâtre de grands événemens, le Japon y jouerait un rôle important et même décisif. Ses hommes d’État prévoient qu’un jour quelque puissance tentera de s’emparer de la Corée, et ils veulent être en état ou de sauvegarder la neutralité de leur pays contre la Chine et contre l’Occident, ou d’offrir à l’un des belligérans une alliance dont ils régleraient eux-mêmes les conditions. Persuadés que l’occasion de se battre se présentera tôt ou tard, un budget militaire qui dépasse 2 millions de livres sterling ne leur semble point excessif.

Le Japon a adopté aussi l’enseignement primaire obligatoire et laïque, mais en ayant soin de ne pas le rendre gratuit. En 1872, l’empereur avait déclaré par un acte public qu’à l’avenir, dans toute l’étendue de ses États et jusque dans le dernier de ses villages, il n’y aurait plus un illettré. A vrai dire, l’instruction élémentaire avait toujours été fort répandue au Japon, et, selon M. Norman, on trouve à Tokio moins d’hommes et de femmes ne sachant ni lire ni écrire qu’à Birmingham ou à Boston. Mais dans ces dernières années, on est devenu ambitieux, les vieux programmes ont paru insuffisans, et pour nous imiter en tout, après les avoir changés, on les a changés de nouveau, bouleversés, transformés. On créa des places nouvelles, et, à peine créées, on les supprima ; on rédigea de nouveaux règlemens, et on les modifia, on les amenda d’année en année : les règlemens ne valent tout leur prix que lorsqu’on ajoute au plaisir de les faire celui de les défaire et à l’ivresse des nouveautés malheureuses l’amère volupté des repentirs.

Il n’en est pas moins vrai que le Japon n’a rien négligé pour développer l’instruction publique de tout étage ; qu’à cet effet il a pris à l’Allemagne ses jardins d’enfans, aux États-Unis leurs écoles primaires supérieures, à la France ses écoles normales. Son université a un