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L’incident qui suit fortifie ces appréhensions. De nouveau la voix du secrétaire a retenti :

— Californie ?

— La délégation de la Californie, répond son président, cède son tour à l’État de New-York.

On s’étonne, les regards se croisent et s’interrogent. La délégation de New-York est, on le sait, hostile à Cleveland, inféodée à Hill, et l’on tenait le vote de la Californie acquis à Cleveland. L’État de l’Or ferait-il défection et passerait-il du côté des adversaires ?

M. C. de Witt, chef de la délégation de New-York, prend la parole. Il est une heure du matin ; la convention siège depuis treize heures ; elle est visiblement impatiente et nerveuse, mal tenue en main par son président fatigué. M. C. de Witt est connu comme un orateur incisif et violent, habile à déchaîner les tempêtes. Quelques semaines auparavant, à Saratoga, dans une réunion populaire, il avait violemment pris à parti M. Cleveland et prononcé contre celui qu’il appelait « l’idole aux pieds d’argile » du parti démocratique un véhément réquisitoire. On s’attendait à l’entendre rééditer dans la convention ce discours, qui avait alors produit une grande sensation, mais, soit qu’il se rende compte que l’état de lassitude de l’assemblée ne comporte pas de grands développemens oratoires, soit qu’il cède aux avis des tacticiens, adversaires de Cleveland, qui tiennent de plus en plus l’élection pour douteuse, et un ajournement pour probable, il se borne à poser la candidature de Hill, que secondent le général Sickles, l’un des vétérans de la guerre de sécession, et Bourke Cockran, l’orateur populaire de Tammany-Hall.

Une triple salve d’applaudissemens des délégués de New-York accueille le nom de Hill, mais cette démonstration éveille peu d’échos dans la convention et moins encore parmi les spectateurs, nonobstant l’enthousiasme du général Sickles qui agite en l’air sa béquille que surmonte le portrait de Hill, et les clameurs du docteur Mary Walker, habillée en homme, et qui, des galeries, dirige un groupe nombreux de partisans de Hill. La fatigue est à son comble et John M. Duncombe, de l’Iowa, qui prend ensuite la parole pour poser la candidature de Boies, peut à peine se faire entendre au milieu du bruit des conversations particulières et des cris : « Aux voix ! aux voix ! » qui éclatent de tous côtés. D’autres orateurs se succèdent et les noms de Morrison, Campbell, Gorman éclatent successivement, salués de courtes acclamations noyées dans le tumulte. Ce tumulte redouble lorsqu’un délégué du Kansas demande l’ajournement, non au lendemain, il est alors plus de