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Cleveland est acclamé des masses comme il vient de l’être dans cette enceinte, pourquoi cet homme, qui n’a ni places à distribuer, ni millions pour le soutenir, est l’homme le plus en vue du grand parti démocratique et de l’Union américaine, répondez qu’il l’est parce que le premier, dans son message présidentiel de 1887, il a osé aborder de front la question vitale, mettre les principes au-dessus de son intérêt, dénoncer courageusement les dangers du régime économique actuel et incarner en lui la résistance à l’exploitation des masses par les capitalistes. Si, aujourd’hui, la question se pose, nette et précise, entre les intérêts de tous et ceux d’une oligarchie puissante, c’est à lui qu’on le doit ; les suffrages du parti démocratique consacreront l’accueil que vous faites à sa candidature et porteront au pouvoir l’homme intègre que nous sommes fiers de compter dans nos rangs. Je ne doute pas, après la démonstration grandiose à laquelle nous venons d’assister, qu’en dépit de dissidences passagères, toutes les voix du parti démocratique ne se portent, en novembre prochain, sur Grover Cleveland, l’élu de cette convention. »

Malgré la discipline et les adjurations des chefs, des protestations éclatent dans les rangs de la délégation de New-York. Le gouverneur Abbett les a provoqués à dessein. « J’ai dit, répète-t-il d’une voix puissante, toutes les voix du parti démocratique ; je n’ai pas nommé New-York. » A ces mots qui semblent les exclure du parti démocratique, les délégués protestent ; les partisans de Cleveland redoublent leurs applaudissemens, saluant de longues acclamations Abbett, qui fait tête à l’orage et dont le geste semble souligner l’apparente disproportion entre le nombre des délégués de New-York et celui des amis de Cleveland.

Ces derniers dominent en effet dans les galeries, mais dans la convention même les attitudes sont froides, les visages soucieux. L’heure n’est pas encore venue de s’engager à fond, de se fermer, par un enthousiasme intempestif, l’accès des emplois lucratifs, des grosses sinécures, en se compromettant trop tôt pour un candidat que force sera peut-être d’abandonner dans une heure. La partie qui se joue est trop serrée et trop sérieuse, elle comporte trop de combinaisons possibles, probables même, pour ne pas exiger un grand sang-froid. Les 72 voix de New-York sont absolument hostiles à Cleveland et semblent assurées à Hill ; l’attitude des délégués de l’Iowa est significative ; près d’eux ceux de la Pensylvanie et de l’Illinois observent et se taisent, obéissant à un mot d’ordre ; or la Pensylvanie dispose de 64 votes et l’Illinois de 48. On croit ces votes favorables à Cleveland, mais seront-ils unanimes, et quelque revirement imprévu ne va-t-il pas se produire ?