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que tout cela ? Des entités substantielles dont on se sert tant qu’elles présentent des avantages, mais qu’il n’y a pas d’inconvénient à rejeter, si l’on estime que les circonstances y forcent. D’ailleurs, le projet, le fameux projet de fédération impériale, que deviendrait-il s’il fallait que les colonies s’inclinassent devant les arrangemens qu’il plaît à la mère patrie d’élaborer en dehors d’elles ? Elle n’est possible, la réalisation de ce plan cher à John Bull, qu’à une condition formelle, absolue : les colonies anglaises sont et resteront indépendantes ; on ne réussira pas à les absorber ; au besoin, toutes se lèveraient pour l’attester.

Donc, si l’agitation qui se montre à la surface a vraiment pénétré jusqu’aux couches profondes, l’Angleterre marche à l’abandon progressif et systématique d’une politique vieille comme les siècles et qui n’avait pas été sans profit pour elle. Mais avant qu’on en vienne à des mesures extrêmes, le passé, avec son cortège de souvenirs et de coutumes, épargnera peut-être à l’âge présent les rigueurs dont on le menace. A l’échauffement actuel de quelques esprits, il ne sera pas difficile d’opposer la tolérance réfléchie des époques moins éclairées. Voyez, criera, sans doute, la voix publique, à quelle suite ininterrompue de traditions vous formez le dessein de mettre un terme ! Elles remontent jusqu’au XIVe siècle. Pendant un long règne de cinquante ans, Edouard III attire au pays les tisserands flamands, il leur donne des emplois, des gages élevés, tout ce qu’ils veulent, et ils s’établissent dans le Lancashire et à Londres. Jusqu’à l’avènement d’Henri VIII, mêmes exemples, même appel à ces ouvriers du continent, armuriers, couteliers, brasseurs, mineurs, qui révèlent les secrets de leur industrie à un peuple resté pastoral et agriculteur. Puis, sous Elisabeth, arrive l’émigration protestante persécutée. La reine ordonne qu’on accueille les réfugiés et qu’on les protège. Ils familiarisent la population avec les métiers qu’elle ignore, notamment la fabrication des étoffes, poussée plus tard à un si haut degré de perfection. Après le mois d’août 1572, accourent les drapiers d’Anvers et de Bruges, les ouvriers de Paris, et ces spécialistes ingénieux qui ont fait la gloire de Valenciennes. Grâce à cette irruption bienfaisante, des cités voient s’élever dans leurs murs des fonderies, des usines, des ateliers. Il n’est pas jusqu’au jardinage, à la production maraîchère dont les étrangers ne fixent les lois. Les protestans wallons introduisent au comté de Kent la culture du houblon ; devant les Anglais émerveillés, des artisans français cisèlent le métal précieux, vulgarisent la coutellerie et l’ajustage des instrumens de précision. En 1633, Briot devient graveur en chef de la Monnaie. Newcastle reçoit de Liège des professeurs, véritables artistes, qui enseignent aux