Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 112.djvu/683

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

encouragemens et les subsides qu’on prodigue aux quarante sociétés d’émigration qui existent dans le pays. Reste une décision radicale à prendre, sérieuse celle-là et d’une simplicité faite pour séduire, l’interdiction pure et simple aux immigrés sans ressources de séjourner sur le territoire. En dehors de cet ostracisme brutal, il n’y a rien qui vaille, du moins on en a le sentiment. Ainsi, le meilleur plan serait de se rallier avec hardiesse à l’exemple des Américains. On imposerait aux compagnies maritimes l’obligation de reconduire chez eux les faibles, les malades de corps et d’esprit, bref, les individus susceptibles de retomber à la charge des pouvoirs publics. Voilà le projet de loi dont des députés courageux et patriotes devraient assumer l’initiative ! Voler au travailleur anglais son ouvrage, le réduire à la misère, pousser la femme à la prostitution et l’homme au crime, ce sont là les maux que l’indifférence encourage. Veut-on que la Grande-Bretagne serve plus longtemps de refuge empesté à tout ce qui est misérable ou corrompu ?

Résultat inévitable. Certains établissemens anglais l’ont bien compris. La Nouvelle-Galles du Sud, si éprise de liberté, si ennemie des barrières commerciales, s’est débarrassée d’une immigration qui menaçait de la ruiner, celle des Célestes. Il y a cependant entre le royaume-uni et la Chine des traités formels. Forts des conventions diplomatiques, les sujets de l’empire du Milieu se sont répandus sur l’Australie. Un instant, l’invasion de la race jaune fut comparable, pour le péril qu’elle créait, à la multiplication de ces léporides dont la destruction scientifique était mise à prix par les colons épouvantés. Heureusement, ceux-ci avaient à leur tête un premier ministre qu’il eût été difficile de taxer de timidité. Cet homme d’État n’hésita pas à mettre les envahisseurs à la porte ; et quand on réclama, quand on l’interpella sur la violation d’un pacte international, il se borna à répondre qu’il y avait des nécessités morales d’ordre supérieur qui parfois commandaient aux peuples de transgresser les engagemens les plus solennels. En expulsant les Chinois du territoire qu’il gouvernait, sir Henry Parkes rendait service aux habitans et à la société du pays. Il allait plus loin encore ; il refusait à des sujets de la reine de se fixer en Australie. Lorsque après le procès des meurtriers de Phœnix-Park, les délateurs irlandais qui y avaient joué le rôle qu’on sait se dérobèrent par la fuite à la fureur de leurs compatriotes, ni la Nouvelle-Galles du Sud, ni l’État de Victoria ne consentirent à les recevoir. Certes, on n’en avait pas le droit ; aucun texte n’autorisait un semblable abus de pouvoir, pourtant on se tut à Londres, quelque irritation qu’on en éprouvât. On ne hasarda, dans les deux cas, aucune représentation. Signatures échangées, lois, traditions, qu’est donc