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troupeau de 700 individus, mûrs déjà, et décharnés et malades, tous minables, avec des visages affreux. La jeunesse s’éloignait, allait porter au loin le sang fécond et l’énergie virile de l’Angleterre. Soit, rien à dire à cela, il faut des colons aux colonies. Mais que ces jeunes gens si solides, si bien venus, fussent remplacés sur la terre natale par des vieillards et des femmes dont le continent ne voulait plus, n’était-ce pas un phénomène monstrueux, aussi contraire à la morale qu’aux principes les moins contestés de l’économie sociale ? Et que d’exemples analogues on pouvait citer ! A Leeds, on en est réduit, comme en 1887, à voter des fonds pour transporter au Canada les travailleurs britanniques dépossédés. Au nord et au sud, on s’interroge : à quoi sert de recommander l’émigration comme le remède aux maux intérieurs dont le pays souffre ? Que deviennent les plans des institutions charitables, des associations religieuses comme l’Armée du salut, qui draine des sommes énormes en vue d’acheter dans l’Afrique australe les territoires où elle installera la clientèle des déshérités ? Oui, à quoi bon tout cela ? Pour cent Anglais qui s’expatrient, on peut compter 200 étrangers qui arrivent, inférieurs aux premiers sous tous les rapports, rendant plus cruelle l’existence de ceux qui restent.

La lutte est-elle possible ? L’ouvrier anglais crie que non, si haut qu’il peut. Il est volé du droit naturel qui lui appartient de vivre où il est né, de profiter des avantages que lui confère la législation sur le travail, de prendre part à l’immense mouvement commercial et industriel de la Grande-Bretagne. Endurance et respect de la loi, il n’y a aucun doute qu’il possède amplement ces deux qualités. Mais quoi ! ces vertus dont il plaît à la nation de le parer, va-t-on plus longtemps les mettre à l’épreuve ? La commission de la chambre des communes a reconnu implicitement dans son rapport que cette immigration désordonnée est un fléau qui doit disparaître. En outre, les objections qu’elle élève ne portent pas sur la répugnance qu’on éprouverait à se décider pour la proscription. Elles se bornent à énoncer les obstacles d’ordre matériel auxquels se heurterait l’exécution d’un plan radical. Volontiers, les membres du comité reconnaissent qu’il sera, un jour ou l’autre, indispensable de légiférer en raison de l’extrême difficulté qu’ont les classes pauvres à subsister, et de l’influence désastreuse qu’exerce sur elles la concurrence des émigrés sans ressources. Ainsi, c’est une confession, un aveu que la situation est grave, mais ce n’est qu’une phrase, bien vague encore. Heureusement, les remèdes sont de deux sortes ; il y a bien ceux que l’État, dans sa toute-puissance, serait au besoin requis de fournir, mais il y a