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doute, les budgets et le produit de l’impôt au service des particuliers.

L’Angleterre n’avait pas partagé, jusqu’à présent, l’entraînement général. En son genre elle était unique, avec son scepticisme railleur, son dédain pour les procédés continentaux et pour tout ce qui ressemblait à une ingérence officielle ou législative dans les questions de cet ordre. Nous ne prétendons pas que l’évolution qu’elle subit est si marquée qu’elle applaudisse aux innovations du dehors et qu’elle est prête, elle aussi, à se rallier au dogme de l’État protecteur. Non, assurément ; plus d’un symptôme attesterait le contraire et il serait facile de produire, à cet égard, des témoignages éclatans de la fermeté des esprits. N’est-il pas significatif, par exemple, et pour le dire en passant, qu’une des plus puissantes parmi les associations du vieil unionisme britannique, la corporation des mécaniciens, ait proclamé tout récemment qu’après avoir demandé la réforme légale des huit heures, elle renonçait à l’obtenir et en combattrait, au besoin, l’avènement, parce qu’elle la jugeait dangereuse et impraticable ? Cependant, au moment où de pareilles déclarations, si nettes, si affirmatives, paraissaient dans le dernier rapport du secrétariat de la société, une commission du travail siégeait à Londres ; le cabinet avait pris l’initiative de confier à un groupe de personnages très divers, de notoriété ou de popularité considérables, le soin d’examiner sous toutes ses faces les différens aspects du problème et ce qu’il était possible à l’Angleterre commerçante et manufacturière d’abandonner de ses anciennes doctrines. Il est permis de penser que les conclusions de cette longue enquête ne seront pas de nature à modifier grandement la situation. On ne songera pas de sitôt à offrir aux travailleurs des présens que beaucoup d’entre eux s’empresseraient de repousser, et il n’est pas vraisemblable que le parlement intervienne pour sanctionner des propositions dont l’avis d’une majorité éclairée semble avoir déjà fait justice.

Non, décidément, ce n’est pas de ces philosophes spéculatifs qui n’ont jamais été très soucieux de la pratique des choses que s’inquiète actuellement la Grande-Bretagne. Ce qui l’occupe, ou plutôt ce qui l’alarme, c’est le flot grossissant de cette immigration étrangère autrefois accueillie avec tant de bienveillance, mais qu’on juge aujourd’hui encombrante, qu’on envisage avec appréhension, presque avec effroi. Jadis c’était un devoir et un honneur d’ouvrir largement les portes du pays et sans réserves, sans conditions d’aucune sorte, de livrer passage à tous ceux qui adressaient à l’hospitalité britannique un appel toujours entendu. Ils étaient les bienvenus, d’où qu’ils vinssent, ces ouvriers que le continent ne gardait plus, parce