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rapport à la forme générale d’un article d’Encyclopédie, avec cette différence que le Dictionnaire ou la coordination des articles aura des avantages qu’on ne pourrait guère se procurer dans un traité scientifique qu’aux dépens de quelque autre qualité, et de ces avantages elle en sera redevable aux renvois, partie de l’ordre encyclopédique la plus importante.

Je distingue deux sortes de renvois, les uns de choses et les autres de mots. Les renvois de choses éclaircissent l’objet, indiquent ses liaisons prochaines avec ceux qui le touchent immédiatement, et ses liaisons éloignées avec d’autres qu’on croirait isolées ; rappellent les liaisons communes et les principes analogues ; fortifient les conséquences ; entrelacent la branche au tronc, et donnent au tout cette unité si favorable à l’établissement de la vérité et à la persuasion. Mais, quand il le faudra, ils produiront aussi un effet tout contraire : ils opposeront les notions, ils feront contraster les principes ; ils attaqueront, ébranleront, renverseront secrètement quelques opinions ridicules qu’on n’oserait insulter ouvertement. Si l’auteur est impartial, ils auront toujours la double fonction de confirmer et de réfuter, de troubler et de concilier.

Il y aurait un grand avantage dans ces derniers renvois. L’ouvrage entier en recevrait une force interne et une utilité secrète, dont les effets sourds seraient nécessairement sensibles avec le temps. Toutes les fois, par exemple, qu’un préjugé national mériterait du respect, il faudrait, à son article, l’exposer respectueusement… mais renverser l’édifice de fange et dissiper un vain amas de poussière, en renvoyant aux articles où des principes solides servent de base aux vérités opposées. Cette manière de détromper les hommes opère très promptement sur les bons esprits ; elle opère infailliblement et sans aucune fâcheuse conséquence, secrètement et sans éclat sur tous les esprits. C’est l’art de déduire tacitement les conséquences les plus fortes.


On ne saurait mieux définir ce qui fait « la force interne » du Dictionnaire, et plus généralement de l’œuvre entière de Bayle. Pour exposer respectueusement « un préjugé qui mérite du respect, » Bayle est incomparable ; mais aussi pour « renverser l’édifice de fange ; » et si je ne craignais d’abuser de la patience du lecteur, c’est ce que je n’aurais pas de peine à montrer. Si l’on fait attention, maintenant, où Diderot a placé ces quelques lignes, en quel endroit de l’œuvre commune, — dans cet article Encyclopédie, qui en est, avec le Discours préliminaire de d’Alembert, le morceau capital, — on reconnaîtra que, pour avoir tracé d’abord le plan de leur Encyclopédie sur celui de la Cyclopœdia de Chambers, ce n’en est pas moins de l’esprit de Bayle que se sont inspirés d’Alembert et Diderot ; c’est en le prenant pour guide et pour maître