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ou presque toutes ; que leurs soldats ne l’ignorent point ; et qu’ils soient même capables de mourir, s’il le faut, pour l’interdiction qu’elles en font. La seconde preuve est tirée « des désordres des croisades ; » et, à ce propos, Bayle se demande ce que l’on doit penser d’une opinion singulière. Quelques mauvais plaisans n’ont-ils pas en effet avancé que les principes de l’Évangile, s’ils étaient fidèlement suivis, énerveraient le courage de ceux qui les professent ? Il faut sans doute examiner ce point. Bayle n’a garde d’y manquer. Une troisième preuve se déduit de « la vie des courtisanes. » Excellente occasion de donner, en passant, quelque chose au goût fâcheux qu’il aura toujours pour les obscénités, — en sa qualité de vieux garçon, peut-être, — et, comme il a lu tout récemment, dans une Relation d’un M. de Saint-Didier, des anecdotes, qu’il a trouvées plaisantes, sur les courtisanes de Venise, il les reproduit ! Cependant sa démonstration ne fait que commencer. Si « tant de chrétiens, » comme on vient de le voir, « qui ne doutent de rien, et qui même sont prêts à croire un million de nouveaux articles de foi, pour peu que l’Église les décide, se plongent néanmoins dans les voluptés les plus criminelles, » que dirons-nous des magiciens, des sorciers ou des démons ? Car, les démons, voilà, certes, une espèce d’êtres qui n’ont guère le moyen de se dire athées, ou plutôt, si quelqu’un doit être convaincu de l’existence du Dieu qui les a précipités, c’est bien eux ! Considérez donc leur conduite, et voyez s’il s’en peut de moins conforme à leur conviction. C’est ce que Bayle appelle sa quatrième preuve. Après quoi, « toute sorte de gens » hommes ou femmes, pris en gros, qui vont à la messe, qu’on voit même « qui contribuent à la décoration des églises, » qui ont l’horreur de l’hérétique, mais qui pourtant n’en vivent pas mieux, lui sont une cinquième preuve de la vérité de sa proposition. Il en trouve une sixième dans la dévotion très particulière, qu’au dire d’Alexis de Salo, de très insignes scélérats ont témoignée pour la Vierge. Ils continuaient donc de croire, du meilleur de leur cœur, aux mystères et aux observances d’une religion que leur conduite profanait tous les jours ! À ce bel argument, dont il s’applaudit comme d’une rare trouvaille, Bayle est curieux de savoir ce que pourra bien répondre un savant jésuite, — c’est le père Rapin, — qui, dans un livre alors tout récent, attribuait la corruption de son siècle aux progrès croissans de l’incrédulité. Mais une autre question s’élève là-dessus : où pense-t-on qu’il y ait le plus d’incrédules, à la ville ou à la cour ? A la ville, dit Bayle, quoique d’ailleurs il y ait plus de corruption à la cour. La cour le mène aux rois, parmi lesquels il choisit Louis XI pour en faire « une considération particulière. » Il passe alors au grand Alexandre, et découvre dans son histoire, non sans quelque