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de Parme ! et que, pour une panse d’à qu’il y a de différence dans l’orthographe de leurs deux noms, il nous parût tout à fait superflu de lire les neuf volumes in-folio des Œuvres de son homonyme !

Je voudrais être plus heureux que mes prédécesseurs, et, pour cela, je voudrais faire sentir au lecteur les raisons qu’encore aujourd’hui même il me semble que nous avons de nous intéresser à Bayle. Elles sont nombreuses ; elles sont diverses. J’en vois aussi de tout à fait actuelles, et, naturellement, ce sont surtout celles-là que je développerai dans les pages qui suivent. Mais s’il y en a de plus générales que les autres, — et de plus historiques, pour ainsi parler, qui se tirent de la nécessité de montrer dans l’histoire de la littérature une suite, un mouvement, une évolution qu’on n’y a pas assez étudiés, — je ne veux pas attendre davantage à les signaler.

De tous les écrivains de son temps, on en trouverait donc malaisément un autre dont l’œuvre éclaire d’une lumière plus vive toute une période assez mal connue de l’histoire des idées au XVIIe siècle. Et, à ce propos, si j’ai tâché de faire voir dans une précédente étude ce que le cartésianisme, — et le cartésianisme bien entendu, — contenait en soi, dans ses thèses essentielles, de contradictoire et par conséquent d’hostile à toute religion, c’est ici, dans une étude particulière de Bayle et de son œuvre, qu’on achèvera, si je ne me trompe, de le voir avec une entière évidence. Pas plus que Descartes, Bayle, en effet, n’est un sceptique, mais, comme Descartes, il est un douteur. Toute la différence entre eux est qu’au lieu d’appliquer son doute aux données de la connaissance sensible, Bayle a voulu l’appliquer aux événemens de l’histoire. Mais son prétendu scepticisme, et sa critique, et son ironie même ne sont chez lui que des procédés, ou une méthode, pour nous conduire à des conclusions très certaines. En voit-on bien la conséquence ? Tout ce que le prudent Descartes avait mis comme à l’abri des atteintes de son rationalisme, et ce qu’il avait situé d’abord dans un provisoire dont il devait bien se garder de rien dégager de définitif, Bayle, beaucoup plus audacieux, s’y attaque, pour examiner, selon les principes de Descartes, ce qu’il en subsiste au regard de la raison. Point d’exception pour la morale, ni surtout pour la religion. Ce que les hommes, sans l’avoir vu, sans l’avoir entendu, sur la foi d’un ouï-dire de ouï-dire, ou pour l’avoir lu dans des livres qui se copient les uns les autres, se sont transmis de génération en génération, n’a rien à ses yeux qui soit plus sacré ni plus respectable, dans son ancienneté, que ces qualités occultes ou ces êtres de raison dont le Discours de la méthode était venu purger la philosophie. Voilà le principe du scepticisme de Bayle.