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politiques ou sociales qui incombaient aux richesses aristocratiques du passé. C’est le propre de la richesse démocratique que, ne conférant aucun droit, elle ne peut astreindre à aucun devoir. Il n’en était pas de même jadis où la fortune immobilière, sous sa forme unique de domaines nobles, — la propriété urbaine était peu de chose, — faisait peser sur les individus qui la détenaient des charges proportionnées à leur revenu. En première ligne, parmi ces charges inévitables et coûteuses, on peut citer les frais de garde militaire, la nécessité d’entretenir à son compte justice, police et gendarmerie, au profit de ses voisins ou de ses vassaux.

Les conditions économiques, je serais tenté de dire physiques, de la France du moyen âge, — pas de communications, besoins généraux très restreints, insécurité résultant de la barbarie, — et, plus encore que les conditions physiques, la constitution politique du pays, s’opposaient à la formation des grandes fortunes et au maintien des grandes fortunes acquises. Il était presque impossible de les faire, et tout à fait impossible de les conserver. Toute grande industrie, tout vaste commerce, étaient inconnus parce qu’ils étaient prohibés. Les esprits chagrins, qui accusent le présent d’avoir donné naissance à la haine des non-possédans contre l’accroissement du capital d’autrui, n’ont qu’à se promener à travers la législation des XIVe et XVe siècles ; ils y verront quelles mailles serrées les idées jalouses de nivellement, qui présidaient aux corporations ouvrières, avaient noué autour de celui qui prétendait s’enrichir ; quel problème c’était d’élargir cette prison, à plus forte raison de s’en échapper.

De tous les commerces, celui de l’argent, les spéculations lucratives, — non pas toujours respectables, mais bien souvent utiles au crédit, et en tout cas inséparables des larges entreprises, — auxquelles il se prête, était alors le plus aléatoire, le plus persécuté. Ceux qui cependant y réussissaient, soit qu’ils opérassent avec l’appui des pouvoirs politiques, soit qu’ils fussent eux-mêmes le pouvoir politique, comme Enguerrand de Marigny, Montaigu, Semblançay, finissaient assez communément par la potence, après dépouillement préalable de ce qu’ils avaient acquis. L’État remettait la main sans scrupule sur ce qu’il avait donné, sur ce qu’on lui avait pris, sur ce qu’on avait gagné à cause de lui, ou même sans lui.

Il n’y avait que les petits pays où les choses ne se passaient pas ainsi, parce que le richissime particulier achetait le petit pays, république ou principauté, et en devenait le maître sous un nom ou sous un autre. Ce fut le cas des Médicis à Florence. Le trône