Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 112.djvu/615

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

est mort en 1868 ; et je ne crois pas commettre d’indiscrétion en répétant, dans un travail historique comme celui-ci, ce que j’ai appris d’une des personnes qui passaient pour avoir présidé à l’inventaire, à savoir : que la fortune du défunt s’élevait, à cette date, à la somme de huit cents millions environ, sans compter les meubles, bijoux, et objets d’art non productifs de revenu. Sans entrer dans des détails qui toucheraient à la vie privée, je dois à la vérité de déclarer que les fils du défunt, interrogés officieusement sur la réalité de ce chiffre, affirment qu’il est fort exagéré : on ne peut donc l’admettre que sous réserves.

Huit cents millions, ce n’était pas tout à fait « un milliard sept cents millions, » comme les journaux du temps l’imprimèrent, mais c’était encore une somme inouïe jusque-là, et qui ne s’est plus revue depuis lors. En effet, lors même que les opérations de la maison « Rothschild frères, » de Paris, auraient, depuis vingt-trois ans, réussi de telle manière que cette fortune colossale se serait, ainsi qu’on le suppose, augmentée de moitié, elle n’en est pas moins coupée dès à présent en cinq morceaux ; elle sera dans trente ans divisée entre douze ou quinze têtes au moins ; et la banque, si elle subsiste, ne sera plus qu’une société anonyme très puissante, offrant seulement cette particularité que tous les actionnaires seront unis par des liens de parenté, que d’ailleurs le temps distendra un peu plus chaque jour.

Cette dispersion d’un si gros lingot n’aura pas pour cause unique notre législation, et le partage égal, ou à peu près égal, qu’elle impose, — les membres de la famille Rothschild de Paris sont tous Français. — En Amérique, où existe la plus large liberté de tester qui fut jamais, on a vu récemment pour le milliardaire Van der Bilt une semblable brisure. Elle se produirait avec le droit d’aînesse d’une autre façon ; les substitutions seules, si elles étaient admises, pourraient sauvegarder le capital pendant un temps plus ou moins long, mais non l’intérêt ; parce qu’il suffit d’un dissipateur, dans une lignée, pour grever lourdement les générations à venir, et réduire les substitués à la condition de propriétaires honoraires et nominaux de biens dont les revenus ne leur appartiennent pas. Cela se voit fréquemment en Angleterre et en Autriche : la plus grande fortune de Hongrie, celle des Esterhazy, dont les terres paient annuellement 836,000 francs d’impôt foncier, est dans ce cas.

Il ne m’appartient pas du reste de disserter sur l’avenir. En demeurant dans le passé, qui seul fait l’objet de cette étude, nous sommes amené à nous demander s’il a existé autrefois, je ne dis