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Si, comme il est possible, le pouvoir de l’argent diminuait encore, et surtout si le taux de l’intérêt vient à tomber à 2 1/2 ou à 2 pour 100, comme il arrivera très probablement d’ici un siècle, et même auparavant, à ‘moins d’événemens difficiles à prévoir, le revenu de notre richard de l’époque carolingienne, de notre bourgeois des temps féodaux, de notre petit propriétaire d’il y a trois siècles, représentera à peine le prix d’une journée de travail, dans une grande ville, pour les professions bien rétribuées.

Pour s’en tenir au moment présent, on voit que la somme, ou plutôt le revenu dont il s’agit, pris pour symbole de la valeur mobilière, a subi, depuis le XIIIe siècle, un dépérissement de 96 pour 100 par la dépréciation de la monnaie, de 75 pour 100 par la diminution du pouvoir de l’argent, et de 60 pour 100 par le fait de l’abaissement du taux de l’intérêt. En juxtaposant ces trois causes de moins-value qui ont agi de concert, une somme de 1,000 francs de l’an 1200 s’est trouvée, par la première, réduite à 37 francs ; ces 37 francs ont été réduits, par la seconde, à 9 fr. 25 ; et ces 9 Ir. 25 ont été réduits, par la troisième, à 3 fr. 70.

Ces 3 fr. 70 sont tout ce qui reste des 1,000 francs de revenu mobilier de 1200. Il n’y a pas, dans ce résultat, place pour la moindre hypothèse, pour le moindre doute, c’est un calcul brutal et simple. On peut le faire pour toutes les autres époques ; l’on verra que, pour être moins entière, la dépossession du propriétaire mobilier n’en a pas moins été considérable : sur 1,000 francs de revenu de l’an 1500 il ne reste aujourd’hui que 15 francs ; et sur 1,000 francs de revenu de l’an 1700, c’est-à-dire d’il y a seulement deux siècles, il ne reste que 166 francs.

Évidemment, ces calculs absolus ne peuvent s’appliquer pratiquement à aucun cas particulier. Il n’a pas existé depuis Philippe-Auguste, ou depuis François Ier, ou depuis Louis XIV une seule fortune métallique, s’élevant en capital à 1,000, 10,000, ou 100,000 livres, qui se soit transmise d’un individu à un autre, sans aucune vicissitude autre que l’avilissement progressif auquel nous venons d’assister. Mais cet avilissement inéluctable de la richesse numéraire ; depuis sept siècles, est d’une haute portée morale ; cette constatation de l’expérience répond, plus victorieusement que tous les discours des hommes d’État ne le peuvent faire, aux réclamations communistes contre « l’odieux capital. »

Quand l’économie politique énonce que le capital n’est que du « travail accumulé, » et que l’on coudoie tous les jours des riches qui ne travaillent pas et dont les pères n’ont pas travaillé davantage, on est involontairement assailli de doutes sur la valeur réelle de cette affirmation scientifique. On se demande si, en la tenant