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paraissait être plus particulièrement réservé aux Français. Les ordonnances de Charles IX et d’Henri III exigeaient des cautions de 300,000 francs à 1 million de notre monnaie, de tout étranger qui voulait exercer la banque. Les États de Normandie demandaient, sous Louis XIII, que l’on n’accordât la naturalisation aux négocians originaires des autres pays qu’à la condition d’avoir épousé des Françaises, et de posséder en France une certaine quantité d’immeubles, qu’ils ne pourraient aliéner. Mais les dispositions restrictives du séjour des étrangers demeuraient heureusement inappliquées ; aussi bien que les lettres-patentes promulguées en 1614, — pour la dernière fois, croyons-nous, — qui bannissaient du royaume tous les juifs, dans le délai d’un mois, sous peine de mort et de confiscation de leurs biens.

De fait, au contraire, quantité de Hollandais, d’Italiens, de Portugais et d’Anglais venaient s’établir à Paris ou dans les grandes villes de province, pour y faire la banque. D’Italie venait Zamet, « seigneur de 1,800,000 écus, » Bartollotti et Lumagne ; de Portugal venait Lopez. Lopez et Lumagne, voilà, pendant la guerre de trente Ans, les premiers ministres de la fortune publique, les gros bonnets du crédit ; hommes indispensables, sans lesquels rien ne marche, et dont le nom revient sans cesse quand il s’agit d’argent. Entrepreneurs de travaux publics, négociateurs d’emprunts, marchands de pierres précieuses, fabricans de canons et de vaisseaux, trafiquans sur métaux, ils font un peu de tout, même des métiers bizarres ; un peu espions, un peu « Tricoche et Cacolet, » ayant de la respectabilité et rehaussés par la politique.

Le seul banquier français important, sous Richelieu, Roger Desjardins, ne peut prêter d’argent à l’État. Or les États de ce temps-là, n’ayant qu’une confiance très limitée dans leur crédit réciproque, ont coutume, quand ils contractent des alliances en vue d’une guerre, de donner chacun un banquier solvable qui répondait de leurs engagemens, et s’obligeait à livrer le numéraire aux lieux où l’on en aurait besoin.

L’intervention de ces étrangers, qui mettaient à notre service leurs relations internationales, doit être considérée malgré tout comme profitable à nos affaires. Les conditions auxquelles ils nous servaient sont meilleures, et la loyauté relative qu’ils paraissent apporter à l’exécution de leurs engagemens est plus grande que celle de nos compatriotes, alors fermiers des impôts et banquiers du trésor. Nos banquiers ou partisans français, qu’ils soient marchands en gros dans la rue Saint-Denis, ou maréchaux de France comme d’Estrées, « qui a presque toutes les maltôtes » sous Mazarin, demeurent jusqu’à Colbert attachés au budget en formation