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cet égard un projet très complet, très bien étudié ; tous les monts-de-piété du royaume auraient eu correspondance entre eux… Quelle distance sépare, pour tant d’idées pratiques, le germe de la fécondation ; ou, si l’on veut, combien est longue la durée de leur gestation par l’opinion publique ! Le tiers-état, que l’on trouve en général à la tête de tous les progrès, fut pourtant unanime à repousser cette extension du crédit, en disant « qu’il y avait déjà bien assez d’usuriers en France, et que c’était impiété et abus. »

Au XVIIIe siècle seulement, sous le ministère de Fleury, furent institués à Paris, puis peu à peu dans les principales villes, « pour faire cesser les désordres de l’usure, » des monts-de-piété qui subsistèrent jusqu’à la révolution, et dont la mission était plus vaste que celle des nôtres puisqu’ils prêtaient sur les valeurs et les effets de commerce. Certaines communes rurales avaient aussi fondé, pour l’usage de leurs membres, des monts-frumentaires, ou monts-de-grains, qui prêtaient la semence aux laboureurs moyennant un intérêt de 5 pour 100, payable en nature au mois de septembre, au moment où s’effectuait la restitution du grain emprunté. Le « mont-frumentaire » était administré par le châtelain, le curé, les consuls élus et les cultivateurs notables ; les grains étaient distribués à Noël et au mois de mars, et les céréales, servant de fonds de roulement, provenaient de quêtes et de libéralités volontaires.

Le crédit tirait des monts-de-piété, en Italie, dès le XVIe siècle, des applications plus variées que nous ne faisions encore à la fin du XVIIIe siècle, en France. C’est ainsi qu’ils servaient d’assurances sur la vie. L’idée n’était pas nouvelle, le moyen âge l’avait eue. Des contrats de cette nature sont parfois passés d’homme à homme au XIVe siècle. On commissionnaire de Perpignan assure pour six mois la vie d’un chevalier : en cas de décès de l’assuré, pendant ce délai, ses héritiers recevront de l’assureur une somme déterminée. Il existe en Flandre, dès 1560, de semblables assurances, mais non pas aussi régulièrement organisées qu’au-delà des Alpes, à Florence, par exemple, où, dit Bodin, « celui qui a une fille met, au jour de sa naissance, 100 écus au mont-de-piété, à la charge d’en recevoir 1,000 pour la marier, quand elle aura dix-huit ans. Si elle meurt auparavant, les cent écus sont acquis au mont (1590)… »

Chez nous tout se borna à des projets : l’un remonte à la création de la compagnie commerciale du Morbihan qui s’engageait, pour trouver des actionnaires (1629), à leur rendre au bout de seize ans un capital sextuple de celui qu’ils auraient versé. L’association était libérée de toute obligation envers les héritiers de