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les chemins. » Cependant la poste commençait à rendre des services appréciables. Il était loisible aux expéditeurs de monnaie de remettre leur argent au maître de poste de la localité, « d’en faire charger le livre, » et le commis, au point d’arrivée, « rendait sûrement » la valeur au destinataire. Ce n’était pas encore le bon postal de 1892, mais c’était un progrès sur le moyen âge.

Théophraste Renaudot, le fondateur du journalisme français, le cerveau le plus inventif peut-être de l’époque, dans lequel ont germé bon nombre d’idées utiles, à peine mêlées d’un grain d’utopie, proposait (1632) l’établissement d’un change public permettant à « tous ceux qui s’en voudront servir de faire tenir argent commodément de lieu à autre de ce royaume. » La chose n’aurait pas été impraticable, et l’État, qui n’était pas mieux outillé à cet égard que les particuliers, en aurait profité le premier dans ses embarras continuels. « L’argent est plus rare ici, écrivait alors de Toulouse le gouverneur de Languedoc, qu’en aucune autre grande ville, et il n’y a pas un sou à la recette générale. » Ce gouverneur fait traite sur le surintendant des finances, et ne peut obtenir le montant de son effet du banquier de Toulouse qui l’a chèrement escompté, avant que celui-ci ne soit assuré que ledit effet a été accepté à Paris.

Ayant à payer deux galères à Marseille, le secrétaire d’État de la guerre promet d’adresser une lettre de change de 30,000 livres ; et comme il est à Château-Thierry, il attend, pour la prendre chez un banquier, d’être de retour à Paris. S’il doit taire parvenir de l’argent dans le midi, le gouvernement se procure d’importantes lettres de change sur Lyon ; c’est aussi à Lyon que le trésorier de l’Épargne, — caissier payeur central du Trésor, — envoie l’un de ses commis faire accepter pour 500,000, voire 1 million de livres de traites, destinées à pourvoir à diverses services. Lyon fit la loi pour le change pendant les XVIe et XVIIe siècles. Il se tenait dans cette ville quatre foires par an, foires d’argent surtout, appelées « paiemens, » qui duraient chacune un mois. Le premier du mois, à deux heures, en présence du prévôt des marchands, les opérations commençaient. Les banquiers, venus des quatre coins de la France, debout sur la place et en la « loge du change, » leur carnet appelé « bilan des acceptations » à la main, y inscrivaient toutes les traites, tirées sur eux, qui leur étaient présentées.

En regard de la traite acceptée, ils portaient une croix ; s’ils voulaient réfléchir, ils cotaient un V qui signifiait vu ; s’ils la refusaient, ils mettaient SP (sous protêt). Dans ces Champs de Mai des valeurs, le protêt des effets de commerce pouvait se faire au bout d’un mois entier ; en temps normal, au contraire, suivant la