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qu’une simple cour pavée en plein air. Telle quelle, les gens d’affaires refusèrent de la quitter pour le parc Royal (près la Bastille), que l’État venait d’aménager à leur intention, et qu’ils trouvèrent trop loin du Palais de Justice. Ce fut alors que l’on construisit pour eux la place Dauphine, « la plus belle et la plus utile de Paris, » au dire d’un contemporain. Singulière persistance des traditions : l’heure de la levée de l’audience des magistrats, « de la sortie de la cour, » c’est-à-dire environ midi et demi, que les financiers avaient adoptée pour le commencement de leurs assises, et que l’on nommait au XVIIe siècle « l’heure de la Place au Change, » comme nous disons aujourd’hui l’heure de la Bourse, n’a pas varié depuis trois cents ans, bien que la Bourse ait émigré d’abord à l’hôtel de Soissons, rue Quincampoix, puis à l’hôtel de Nevers, rue Vivienne (1720), et que la spéculation n’ait plus aucun rapport avec la procédure.

Si le prix de l’argent est, selon le mot de Voltaire, « le pouls d’un État et un moyen assez sûr de reconnaître ses forces, » on doit avouer que notre situation, dans la première partie du XVIIe siècle, n’était guère florissante. Le change avec les pays étrangers, particulièrement avec la Hollande, d’où nous importions énormément, était de 6 à 10 pour 100. Pour avoir une lettre de crédit de Paris sur Rome, il fallait payer 25 pour 100 de la valeur. Cet état de choses tenait à la politique monétaire du gouvernement français, qui prétendait entraver le changement de rapports des métaux précieux entre eux. Nos ministres s’en désolaient en pure perte : « J’envoie, écrivait des Noyers à Richelieu, un mémoire sur la sortie d’un million d’or depuis huit mois par Calais. » Le transport du numéraire à l’étranger, strictement interdit en ce temps-là dans chacun des États de l’Europe, se jouait de toutes les prohibitions.

Il est plaisant de remarquer qu’en Espagne même, et dans toutes les possessions espagnoles, d’où nous étaient venus tant de lingots, l’exportation de l’or et de l’argent restait entourée de formalités si minutieuses, que tout voyageur, avant de quitter ce pays, devait, pour les sommes les plus minimes, se munir d’un laisser-passer des autorités. Un dominicain français, allant de Roussillon en Languedoc, déclare « emporter 19 réaux et demi pour faire son voyage, » et un « travailleur de terre, » qui se rend d’Andalousie à Rome, fait une déclaration analogue.

A l’intérieur du royaume, le mouvement des espèces d’une ville à une autre demeurait sujet à de fâcheux hasards ; on s’y préparait : une commune du Dauphine constate avec philosophie que la somme envoyée par elle à Paris, à son avocat, « s’est perdue par