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ne s’en apercevait pas dans les paiemens de chaque jour, qui, pour la plupart, se faisaient en argent ; mais elle affectait fortement celui qui voulait se procurer une certaine quantité d’or.

Il en résultait cette anomalie : que le prix marchand de l’or était beaucoup plus bas jadis que de nos jours, par rapport à l’argent, puisque le kilogramme d’or ne valait que 12 kilogrammes d’argent, au lieu de 15 et 18 kilogrammes qu’il vaut aujourd’hui ; et que cependant les monnaies d’or bénéficiaient d’un change, actuellement inconnu, sur les monnaies d’argent qui s’échangent en général au pair avec elles, dans l’intérieur de chaque État.

Les opérations de change avaient pris assez d’importance, dès la fin du XVIe siècle, pour que le gouvernement songeât à créer des courtiers en titre, auxquels elles fussent exclusivement confiées. Ces devanciers de nos agens de change contemporains étaient au nombre de 8 à Paris, en 1595. Louis XIII en porta le nombre à 30, et les érigea en corps sous le nom d’ « agens de banque et de change, » avec deux syndics élus par la compagnie et renouvelables annuellement. Un édit de 1638 leur avait ordonné de faire bourse commune « du quart des profits. » Cette disposition tutélaire, dont les temps modernes se sont inspirés, dans la constitution du fonds de réserve qui seul a conservé la vie jusqu’à ce jour au monopole de la corbeille parisienne, en lui permettant de faire face, dans les jours de crise, aux engagemens individuels de ses membres, cette disposition fut abrogée au bout de peu de temps « à la demande des courtiers. »

Ceux-ci jouissaient dès cette époque, au moins en théorie, du privilège exclusif de la négociation des lettres et billets de change, et percevaient une commission de 1/4 pour 100, soit 25 centimes par 100 francs, payable moitié par le tireur et moitié par le destinataire. Ils demeurèrent courtiers de marchandises en même temps que de change ; mais ils exercèrent de moins en moins la première partie de leur métier, et bornèrent au papier commercial leur rôle d’intermédiaires. Intermédiaires en effet, ils ne durent plus être que cela, depuis l’ordonnance de 1673 qui leur défendit « de tenir banque pour leur compte particulier. » La démarcation fut par là nettement établie entre les changeurs libres et commerçans qui très probablement subsistèrent, et les changeurs officiels non commerçans.

Les uns et les autres, agens brevetés et coulissiers marrons se réunissaient chaque jour à la Place au Change, près du Palais de Justice. C’était là que se tenait le change ou la bourse ; car dès le règne d’Henri IV, ce terme était en usage. Bourse modeste, nullement comparable au Royal-Exchange de Londres, et qui n’était