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captivent. Mais quand la réalité qui leur manque apparaît, elles s’évanouissent en un instant. Parmi les découvertes de la seconde moitié de notre siècle, aucune ne nous a plus frappé que celles du Forum. Jusqu’au moment où il a été mis à nu, on en jugeait par quelques colonnes qui surgissaient du sol, par quelques traces de la Voie Sacrée, par des arcs de triomphe, témoignages imposans, mais sans lien. Sur cela, l’imagination se donnait carrière. Les conjectures se multipliaient, on faisait des restaurations idéales, on échangeait des polémiques. Puis, les fouilles sont venues et on a vu un ensemble du Forum qu’on n’avait pas soupçonné. C’était bien ainsi qu’il avait été à une époque donnée et cela n’était pas sans grandeur. Mais je crois qu’à partir de ces vastes déblais, il s’est fait plus de silence autour de lui. On regarde cette paléontologie étalée sous les jeux, plus froidement qu’on ne faisait la ruine incertaine. On ne s’y aventure plus sans un guide et il se passera longtemps avant qu’on y vienne rêver.

Mais c’est affaire de sentiment et non pas de raison ; car quel plus grand bonheur pour nous que de savoir et de comprendre ! Si quelques vérités ne s’acceptent pas sans un instant de mélancolie, cependant nous ne sommes pas plus ingrats envers ceux qui les ont trouvées que nous ne nous montrons injustes pour les savans travailleurs qui s’en sont cependant écartés. Et pour revenir à mon sujet et pour conclure, je m’arrête à un passage de l’ouvrage de M. Frédéric Adler dont j’ai déjà parlé, passage qui contient une excellente théorie et qui restera prophétique. L’éminent architecte a été empêché de visiter le Panthéon autant qu’il l’eût désiré. Il s’en plaint et il dit : « Aucun édifice ne peut résister à l’analyse méthodique de son organisme. Chaque monument raconte lui-même son histoire au savant praticien qui est compétent et qui cherche et fouille. C’est souvent un chagrin pour le monument ; mais c’est une joie pour l’artiste. »

C’est bien là ce qui est arrivé au Panthéon. Je ne sais si le monument et ses admirateurs en seront attristés ; mais en attendant d’avoir dit son dernier mot, M. Chedanne a lieu d’être satisfait.

Il y a bien plus encore. Ces découvertes, qui occupent le monde savant, rendent un bon témoignage des études des pensionnaires de l’Académie de France. Elles font à l’institution un honneur qui rejaillit sur notre pays. M. le ministre des beaux-arts l’a reconnu : il vient de donner à M. Chedanne une mission qui lui permettra d’achever sa restauration à Rome.


EUGÈNE GUILLAUME