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conserve pieusement l’esprit de ses leçons, esprit de principes rigoureux et de mesure, doctrine qui ne fait pas plus fléchir la science qu’elle n’entrave le sentiment. Mais ce que Brune a laissé après lui, c’est une génération d’architectes formés d’après ces idées, également préoccupés de l’art de bâtir et de l’art de décorer et ne les séparant jamais, parce qu’ils sont inséparables dans les chefs-d’œuvre. Ainsi Brune a été un maître véritable ; il a formé des disciples convaincus, et, parmi eux, les pensionnaires de l’Académie restent au nombre des plus fervens.

Une évolution très importante s’est donc opérée dans notre école. On n’y descend pas, et comme par grâce, de l’esthétique aux considérations positives de la construction ; on s’y élève de la construction attentivement consultée à l’histoire et à l’esthétique. Quand on calculera les arcs récemment trouvés au Panthéon, on verra probablement que, sans eux, les belles proportions de la coupole n’eussent pas été obtenues. Tant il est vrai que la disposition des matériaux, suivant certaines lois, est la raison tangible de ce qu’il y a de plus immatériel dans l’impression que nous ressentons devant un édifice.

Que les recherches continuent donc ! Qu’elles nous apportent de nouveaux enseignemens et encore quelques-unes de ces briques qui semblent déposer sur la foi d’un serment ! Qu’elles nous donnent des dates irrécusables et des points de repère évidens ! Que la lumière soit plus complète ! Nous la recevrons avec respect, mais peut-être avec quelque tristesse. Il y a parfois dans les découvertes une sorte de désillusion. Il semble qu’elles nous dépouillent d’une partie de nous-mêmes en nous enlevant des sujets d’initiative et en rabattant nos imaginations. Le vrai, d’ordinaire, est si simple ! Et puis, ce n’est pas sans regret qu’on renonce à des idoles, à ces idoles dont parle Bacon, qui sont un héritage de ceux qui nous ont précédés et qui tiennent à ce qu’il y a de plus profond en nous. On ne s’en désintéresse pas. Cependant, elles tombent ; mais elles laissent comme des décombres après elles. La voie en est obstruée et les jeunes vérités ont peine à cheminer à travers ces débris. Elles sont à nous, pourtant, et nous hésitons ; on dirait que leur possession nous décourage. Est-ce donc fini ? Non, certes ! Nous aurons toujours à pénétrer des mystères. Et d’ailleurs, la vérité ne nous suffit pas toujours ; nous voulons aller au-delà et, en présence de certaines constatations formelles, l’esprit conserve toujours ses droits à l’hypothèse.

Quant au Panthéon, ce ne sera pas la première fois que des faits de la nature de ceux que l’on y a constatés se seront produits à Rome. L’histoire s’y fait et s’y défait sous nos yeux. Il y a des imitations de la vérité, imitations logiques et sincères qui nous