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le 30 août, et que j’aurai ici une magnifique place. Tout le monde le dit, tout le monde le croit. » Et comme la pensée d’une séparation attristait l’abbé : « Pour te contenter, réplique-t-il, il aurait fallu se renfermer dans un berceau, à Valréas, avec toute la nichée… Heureusement pour toi et pour moi, je n’ai pas été atteint de la même maladie. Tu vois aussi que notre empereur a le bon sens de ne pas croire qu’il faille loger sous le même toit avec sa famille pour lui prouver son attachement, et qu’il s’en sépare, au contraire, pour l’associer à sa destinée. » Et il ajoute : « Personne ne doute ici et n’a jamais douté depuis mon arrivée du beau sort qui m’est réservé. Ce ne sont pas les hommes, ce sont les pavés qui le disent unanimement… On espère qu’avant la fin du mois, son génie (de l’empereur) décidera la question qu’il médite et dont on dit que je fais partie. Je me conduis de mon mieux. Je m’efface le plus qu’il m’est possible… Je deviens à vue d’oeil gros et gras… Ce serait bien autre chose, sans l’abominable habitude qui s’est introduite à Paris de dîner à sept heures du soir. »

Je ne sais à quelle « magnifique place, » à quel « beau sort, » pensait alors Maury. Il dut attendre, sans que d’ailleurs cette attente eût rien de cruel. Il reprit la vie mondaine qu’il avait menée avant la Révolution. Il eut bien à subir ça et là quelques allusions désobligeantes, — comme ce jour où, voyant son portrait exposé en bonne place dans un salon qu’il avait fréquenté sous Louis XVI et ayant remercié la maîtresse de la maison d’un tel honneur, celle-ci lui répondit : « C’est votre portrait avant la lettre ! » Le mot était spirituel et courut alors Paris. Mais, en somme, les salons ne furent pas plus sévères au revenant que la rue. Sa verve, son esprit, joints à l’attrait de ses souvenirs, à la liberté de langage qu’il avait gardée sous la pourpre romaine, faisaient de ce prince de l’église un causeur d’un rare agrément. Il était partout recherché et fêté, surtout dans le monde officiel alors si brillant et si riche.

L’Académie française, reconstituée sous le consulat, l’avait exclu. C’avait été pour lui un cruel chagrin. Aussi n’attendait-il, depuis son retour à Paris, qu’une vacance pour solliciter l’honneur de reprendre son fauteuil. La mort de Target vint fort à propos. Le cardinal fat facilement élu, et ce fut pour lui l’occasion d’un de ces triomphes de vanité qui furent les grandes joies de sa vie. Je ne parle pas de son discours de réception, harangue médiocre, qui ne lui fit pas grand honneur, mais d’une question de protocole académique, qui agita le monde des lettres et de la cour. Le cardinal serait-il traité par l’Académie de monseigneur ou simplement de monsieur ? Les académiciens estimaient