Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 112.djvu/549

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fonctions de secrétaire d’État, informa Maury de cette décision soudaine. La dépêche était accompagnée d’une note autographe du frère de Louis XVI, ainsi conçue : « L’empereur de Russie ayant retiré au roi l’asile qu’il lui avait jusqu’à présent accordé, Sa Majesté, sans pouvoir apprécier les motifs d’une pareille détermination, se met en route demain avec Mme la duchesse d’Angoulême. Il est impossible de prévoir encore où l’héritier de Louis XIV et la fille de Louis XVI trouveront un abri. Dès que le roi pourra avoir un aperçu du lieu où il lui sera possible de s’arrêter, il en instruira M. le cardinal Maury, qui, en attendant, continuera sa correspondance avec Sa Majesté en l’adressant à M. de Thauvenay à Hambourg. » Rien de plus lamentable que cet exode. L’oncle et la nièce, qui voulut noblement partager son sort, allèrent échouer à Varsovie. Le chef de la maison de Bourbon se fixa dans cette ville, alors prussienne, sous le nom de M. le comte de l’Isle.

Cette expulsion, accentuant l’isolement des Bourbons, rend plus fausse encore la situation de Maury. Il lui devient impossible de rien savoir. On lui cache tout. Le secret des négociations de Paris est gardé « à peine d’excommunication, » écrit-il à M. de Thauvenay, comme pour excuser son ignorance. En février 1801, il avait demandé une audience au pape et avait directement interrogé sa sainteté sur les négociations de Mgr Spina. Le saint-père avait répondu avec une finesse charmante « que Mgr Spina écrivait qu’il avait quelque espoir de servir utilement le saint-siège, en gagnant du temps, qu’il traînait en longueur le plus possible, que Bonaparte ne se montrait pas absolument intraitable, mais que le pape devait faire le mort… » Maury savait ce que parler veut dire et il sentait tous les moyens d’action lui échapper successivement. Chaque jour amène une défection nouvelle. Un jour Murat vient à Rome. C’est à qui lui fera sa cour. Le pape et les cardinaux lui réservent l’accueil le plus flatteur : sa belle mine charme tout le monde. Le ministre de France, Cacault, est très entouré, très écouté et peu à peu les plus acharnés adversaires de la république se font présenter à lui. — Au mois de juin, comme les pourparlers de Paris traînaient sans aboutir, Cacault fait pressentir son départ. Cela suffit à répandre partout le trouble et la consternation. L’habile diplomate en profite pour décider le secrétaire d’État Consalvi à partir lui-même pour la France. Le ministre et le cardinal font route ensemble jusqu’en Toscane. — Quelques semaines après, l’accord était conclu ; mais bien que le traité fût dûment scellé et signé, comme il n’avait pas encore reçu les ratifications, il fut convenu de part et d’autre que pendant quelque temps il ne serait pas divulgué. Le secret fut si rigoureusement observé, que