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français au nouveau régime à établir. Ces évêques, le pape, d’après les traditions de l’Église, n’a pas le droit de les déposséder. Comme ils appartiennent à l’aristocratie, qu’ils passent pour royalistes, qu’ils ont souffert de la révolution, on compte qu’ils opposeront une résistance invincible. Le mémoire fut remis au secrétaire d’État du pape par le frère du cardinal. Consalvi déclara que c’était une œuvre admirable, qu’il allait le faire traduire en italien pour que le saint-père pût mieux s’en pénétrer. En réalité, Maury est soigneusement tenu à l’écart. Il a appris que Mgr Spina a traversé mystérieusement son diocèse en se rendant à Verceil. Il sait aussi que les conférences ouvertes en cette ville se poursuivront à Paris, mais il ne se doute pas de ce qui se fait et de ce qui se fera : — « On se tait par politique, » écrit-il au mois d’octobre au comte de Provence ; « mais ce silence est d’un heureux augure, » ajoute-t-il aussitôt, comme s’il craignait de trop affliger son maître.

La cour de Mittau ne s’était pas bornée à charger Maury d’agir auprès du pape. Elle intriguait de toute part pour faire échouer les pourparlers engagés, sans même prendre soin de colorer les motifs d’une politique si peu chrétienne. « Tout accord que passerait le chef de l’Eglise avec Bonaparte renfermerait la reconnaissance de l’usurpateur et priverait le roi de l’appui de la religion, » écrivait crûment la chancellerie de Mittau à l’un des agens royalistes de Paris. Louis XVIII suppliait le tsar Paul d’appuyer ses représentations auprès du pape. Il pressait les évêques français de refuser tout compromis, de résister au chef de l’Église lui-même au nom de leur roi et de l’Église gallicane. Mais la cause était perdue d’avance et chaque courrier apportait au prince exilé quelque nouvelle cause de tristesse. Maury était de moins en moins écouté à Rome. On apprenait, d’autre part, que deux des principaux prélats français, les archevêques de Bordeaux et de Paris, MM. de Boisgelin et de Juigné, inclinaient à se rallier au gouvernement consulaire. Enfin le tsar, l’ami fidèle sur qui Ton comptait le plus, déclinait tout concours, et passait, lui aussi, dans le parti du plus fort. Ce prince subissait, comme toute l’Europe, le charme prestigieux alors du vainqueur de Marengo. Il voyait la France pacifiée, la sécurité publique rétablie, le crédit reconstitué, l’ordre garanti, la religion assurée d’une restauration prochaine. Il avait conclu avec le premier consul une alliance intime, que sa mort tragique devait malheureusement rompre avant qu’elle ait porté ses fruits. À l’égard de son hôte de Mittau, changeant brusquement d’attitude, il fit preuve d’une brutalité choquante. Le commandant militaire de la ville se rendit au château le 20 janvier et notifia au comte de Provence le retrait de l’asile accordé en Russie aux Bourbons. Le comte d’Avaray, qui remplissait les