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« Voici, maintenant, sire, écrivait-il le 12 juillet 1800, une affaire très sérieuse dont il importe que Votre Majesté soit instruite exactement pour pouvoir en calculer elle-même les résultats. Dès que le consul Bonaparte fut arrivé à Verceil, le 25 du mois dernier, le cardinal Martiniana alla le visiter et en fut parfaitement accueilli. Le général lui dit qu’il venait de rétablir le roi de Sardaigne dans ses États et qu’il désirait que ce prince en fût informé. Le lendemain, il rendit visite au cardinal à la tête de tout son état-major. Il lui dit qu’il le priait de se rendre à Rome pour annoncer au pape qu’il voulait lui faire cadeau de 30 millions de catholiques français, qu’il voulait la religion en France, que les intrus du premier et du second ordre étaient un tas de brigands déshonorés dont il était déterminé à se débarrasser, que les diocèses étaient anciennement trop multipliés en France et qu’il fallait en restreindre le nombre, qu’il désirait établir un clergé vierge, que quelques-uns des anciens évêques n’étaient nullement considérés dans leurs diocèses où ils ne résidaient presque jamais, que plusieurs n’avaient émigré que pour cabaler et qu’il ne voulait pas les reprendre, qu’on traiterait avec eux de leur démission et qu’il leur ferait un traitement convenable, qu’en attendant qu’il pût doter le clergé avec des biens-fonds, il lui assurerait un sort très honnête, mais sans magnificence, et que le plus pauvre des évêques aurait 15,000 livres de rente, que l’exercice de la juridiction spirituelle du pape reprendrait librement son cours en France, que le pape seul instituerait les évêques et qu’ils seraient nommés par celui qui administrerait l’autorité souveraine, enfin qu’il voulait rétablir le pape dans la possession de tous ses États. »

On voit que Bonaparte avait dans la tête tout le plan du futur concordat. Le cardinal Martiniana dépêcha à Rome son neveu le comte Alciati avec une lettre dont on connaît seulement un fragment en traduction[1]. Ce fragment correspond assez exactement aux termes du rapport de Maury. Le pape fut enchanté. Sa réponse[2] témoigne de la plus vive satisfaction : Non ci poteva, écrit-il au cardinal-évêque de Verceil, giungere certamente nuova piu grata di quella que contiene la di lei lettera dei 26 giugno recataci da suo nipote il conte Alciati. Quant à Maury, après avoir résumé, comme on l’a vu, le langage du premier consul, comprenant le coup qu’un tel avis va porter à son roi, il s’applique à en atténuer la violence. Il ajoute quelques phrases rassurantes : — « On ne voit encore (sic) rien de monarchique dans

  1. Documens sur la négociation du Concordat, par le comte Boulay de la Meurthe, t. Ier, p. 25.
  2. Page 26 du même recueil.