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L’empereur Léopold étant mort quelques semaines plus tard, et le collège des électeurs étant convoqué à Francfort pour élire son successeur, Maury fut envoyé en Allemagne en qualité de nonce extraordinaire. Ce fut une curieuse mission, qui lui permit de jeter un regard dans le vieil édifice, solennel et vermoulu, du saint-empire romain de nation germanique. Il visita, avant de se rendre à Francfort, les trois cours électorales ecclésiastiques. Il n’avait pas, malheureusement, le sens du pittoresque, le goût des détails caractéristiques, des traits de mœurs. Il eut l’occasion de nous laisser une peinture bien curieuse de ces principautés bizarres, qui avaient survécu au congrès de Westphalie, et qu’allait emporter, à la grande joie de leurs habitans, l’orage qui se préparait. Mais cette occasion, il ne la saisit pas. Sa correspondance est purement politique. Ses dépêches s’étendent peu sur les pompes solennelles qui avaient tant frappé Goethe au sacre de Joseph II et qui nous ont valu de si curieuses pages dans Aus meinem Leben. Maury dut, suivant l’usage, s’éloigner de la ville de Francfort, au moment de l’élection. Mais il assista au couronnement de l’empereur François par son altesse électorale l’archevêque de Mayence. L’accomplissement des rites traditionnels dura si longtemps que l’empereur dut boire un verre de vin de Tokay pour ne pas se trouver mal au cours de la cérémonie. Maury prit part ensuite aux fêtes données par les électeurs et par l’empereur lui-même. Ce dernier prit envers lui l’engagement formel de restituer au pape Avignon et le Comtat : il déclara même expressément qu’il ne déposerait pas les armes avant que cette restitution fut effectuée. Cet engagement un peu excessif réjouit beaucoup le pape et son secrétaire d’État, qui comblaient d’éloges leur envoyé. De part et d’autre, on n’avait pas prévu Jemmapes et Valmy. Maury parle aussi parfois des affaires de France, des préparatifs militaires et des princes français, qu’il avait eu l’occasion de revoir. « La situation de ces princes est toujours inquiétante, écrit-il. On ne leur a communiqué ni le plan militaire, ni le plan politique, et cette réticence, fondée sur des prétextes d’indiscrétion qui ne sont malheureusement que trop bien fondés, n’est pas d’un augure favorable pour le désintéressement des cours de Vienne et de Berlin. » Le plan militaire, en admettant qu’il y en eût un, on ne pouvait évidemment le révéler à des chefs ayant un rang subalterne dans la coalition et dont la légèreté est constatée par tous les historiens. Quant au plan politique, assurément il existait, mais les princes français étaient bien les derniers à qui on en eût fait la confidence. Il fallait une rare naïveté pour supposer que la Prusse et l’Autriche, ayant la France à leur merci, rendraient bénévolement toute sa puissance à la maison de Bourbon,