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s’écria le futur Charles X, comme vous êtes grossi ! — Et moi, monseigneur, je vous trouve bien grandi, répondit l’abbé. — L’impertinence, dans certains cas, est une forme de la légitime défense. Au reste, Maury n’avait rien à ménager ici. Ni Bruxelles, ni Coblence n’étaient le but de son voyage. Il n’entendait pas perdre son temps parmi les émigrés. Ce n’était pas pour les rejoindre qu’il avait passé la frontière : c’était parce qu’il avait jugé leur cause perdue : « Je n’avais plus de poste à remplir, écrivait-il. Rome, sous la domination de laquelle j’étais né, m’offrait une seconde patrie. Déjà l’orage grondait sur la tête de mon souverain qui m’appelait, me réclamait, et dont mon devoir était d’aller partager les périls. » Pie VI désirait, en effet, voir auprès de lui le grand orateur de l’église de France, l’éloquent porte-parole de la papauté à l’Assemblée constituante, celui qu’il appelait sans le connaître encore son caro Maury. Depuis longtemps, des correspondances s’échangeaient entre le député de Péronne et le cardinal Zelada, secrétaire d’État de sa sainteté. Le voyage de Maury à travers l’Italie, surtout à partir de son entrée dans les États pontificaux, fut un triomphe. Il entra dans Rome par la porte du peuple, la porte des entrées solennelles, par où défilaient au moyen âge les cortèges des empereurs allemands et des papes, les troupes bigarrées des rois et des condottieri. Plusieurs princes de l’église allèrent l’attendre hors des murs. Le peuple romain se pressait au corso pour le contempler. Lui, assis dans une berline remplie de brochures et de journaux, affectait de ne pas regarder la foule et de continuer sa lecture au milieu des acclamations. Le jour même de son arrivée, il était reçu au Vatican. Pie VI lui témoignait la plus vive affection, et, quelque temps après, en le décorant du titre d’archevêque de Nicée in partibus et faisant allusion à l’usage où sont les évêques de signer de leur prénom, tandis que les cardinaux reprennent leur nom de famille, le saint-père lui disait : « Nous vous demandons pardon de vous enlever aujourd’hui votre nom, mais nous vous le rendrons bientôt. »

Au moment de l’arrivée de Maury à Rome, les rapports étaient rompus entre la France et le saint-siège. La constitution civile du clergé était le vrai motif de la rupture. Cependant le pape, sentant combien il serait difficile de renouer les liens quand ils seraient brisés, n’avait pas rappelé le nonce après le vote des lois créant le schisme, ni même après l’approbation donnée à ces lois par Louis XVI. Il avait patienté, tant qu’il avait gardé quelque espoir d’un rapprochement. C’est seulement six mois plus tard, à la suite de l’incinération de l’effigie du pape au palais royal, que le nonce, puis l’auditeur de la nonciature repassèrent les monts. D’autre