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universellement répandus. Ceci soit dit sans excuser les ignobles pamphlets qui l’attaquaient dans ses mœurs, ses moyens de parvenir, sa famille, jusque dans la personne de sa mère. Il parvint au comble de l’impopularité. Pour un homme comme lui, c’était encore une forme de la gloire, que sa vanité eût préférée sans doute à l’obscurité et à l’oubli, si le principe de l’inviolabilité des représentans de la nation eût été sérieusement assuré. Mais, à l’Assemblée, s’il prenait la parole, c’étaient des huées dans les tribunes publiques et un débordement d’outrages. Dans la rue, la foule le suivait, l’invectivait, le menaçait. Il s’en débarrassait par des bons mots bien connus qu’on a souvent répétés : — Je t’enverrai dire la messe au diable ! lui crie un jour un énergumène. — Tiens, voilà les burettes pour la servir, répond l’abbé en tirant de ses poches une paire de pistolets. On riait et Maury poursuivait son chemin. — « Chaque bon mot, dit l’abbé de Pradt, lui valait un mois de sécurité. » — Sa vie n’en était pas moins intolérable. Menacé dans la rue, vilipendé dans la presse, inscrit en bonne place sur les listes de proscription, il finit par se lasser. L’entraînement de la lutte l’avait soutenu tant qu’elle n’était pas trop inégale. Quand il sentit s’échapper le dernier espoir d’une réaction de l’esprit public, le sentiment du danger le ressaisit. Il savait que, défenseur des droits du saint-siège sur Avignon, il serait reçu par le pape à bras ouverts, qu’il trouverait à Rome honneurs, calme et sécurité. En octobre 1791, il passa la frontière. Quelque temps avant, causant avec Marmontel, il n’avait pas caché ses angoisses et son découragement : « Ils prendront la place d’assaut, avait-il dit. Ma résolution est prise de périr sur la brèche. » Mieux eût valu pour son nom qu’il eût tenu parole. Car les années qui lui restent à vivre n’ajouteront rien de glorieux à sa mémoire. — Quant au fait même de sa fuite, il importe de marquer à sa décharge que les princes de la maison de France l’avaient précédé en Allemagne et que, si son roi était encore à Paris, ce n’était pas de plein gré.


II

En quittant la France, l’abbé Maury se rendit d’abord à Bruxelles où tenait une cour brillante l’archiduc qui fut le dernier gouverneur des Pays-Bas autrichiens, puis à Coblence. La nouvelle de sa venue l’y avait précédé. Une foule de gentilshommes émigrés l’attendaient, pleins d’enthousiasme pour le champion de la bonne cause. Avec eux était le comte d’Artois, le propre frère de Louis XVI, fort anxieux apparemment d’avoir des nouvelles du roi et de la France. On prévoyait une touchante entrevue : — Oh ! l’abbé,