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qu’était l’homme, le chemin qu’il avait parcouru, et le prix qu’avaient les dignités dans l’ancienne France.

Chose digne de remarque, du jour où Maury fut de l’Académie française, il cessa d’être littérateur. C’est qu’en réalité, il n’avait pas le goût d’écrire. Il n’aimait pas les lettres pour elles-mêmes. La littérature ne fut pour lui qu’un moyen de parvenir. Il n’a laissé qu’un livre durable : son Essai sur l’éloquence de la chaire. Ses éloges sont des compositions élégantes, modèles recommandables pour les élèves de rhétorique. Ses sermons n’existent plus. Les discours qu’il prononcera à l’Assemblée constituante subiront le sort auquel est presque fatalement vouée l’éloquence parlementaire, qui est de ne pas survivre aux circonstances et aux passions qui l’ont inspirée. Bien plus intéressant à étudier que l’écrivain est, dans Maury, l’homme même.

Aux approches de la révolution, il était un des membres les plus en vue du clergé de France. Mais pour les vrais ambitieux, une situation acquise n’est jamais qu’une pierre d’attente. La convocation des états-généraux lui ouvre la perspective de succès d’un nouveau genre. Avec 1789, il entre dans une nouvelle phase. Abandonnant la chaire pour la tribune, il va se révéler orateur politique de premier ordre, il va devenir le défenseur éloquent du trône et surtout de l’autel. Si les états-généraux eussent été convoqués vingt ans plus tôt, il eût probablement hésité. Sorti des rangs du peuple, peut-être se fût-il mis du côté des réformateurs. Mais l’ancien régime l’avait comblé. Les abus, il en avait joui ; les privilèges, il en avait eu sa part et il leur était d’autant plus fermement attaché qu’il les avait plus vivement recherchés. Grâce à une abbaye qu’il possédait en Picardie, il fut député aux états par le clergé de Péronne. Son attitude pendant les débuts de la révolution est bien connue. Ce fut la période la plus retentissante de sa vie, ce fut aussi la plus honorable, car, en ce temps d’effervescence, il fallait un véritable courage pour prendre la défense du passé. Maury, après le 14 juillet, eut, semble-t-il, un instant de faiblesse. Il s’enfuit. On l’arrêta à Péronne. Il assura qu’il venait pour conférer avec ses électeurs. Mais il avait commandé des chevaux de poste pour aller plus loin. Heureusement pour lui, on était encore au temps des premiers enthousiasmes. Les passions ne s’étaient pas encore aigries. L’Assemblée elle-même réclama Maury qui revint, bon gré mal gré, prendre sa place et jouer pendant deux ans le brillant rôle que l’on sait.

Le débat sur les biens du clergé marque l’apogée de son talent et de sa réputation. Il avait deux illustres adversaires : Talleyrand, le jeune évêque d’Autun, qui, en 1784, comme agent du