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longtemps sujets du saint-siège, n’aimaient pas l’Italie. Au XIVe siècle, l’horreur que causait aux cardinaux français la perspective de franchir les Alpes et de résider à Rome a prolongé de quinze ans la captivité de Babylone, et leur désir immodéré de revoir la Provence a contribué beaucoup au grand schisme d’Occident. Au siècle dernier, les Comtadins se sentaient déjà Français. C’est vers Paris qu’ils tournaient leurs regards. Maury, sûr de lui-même, dédaigna les faveurs de l’académie des Arcades, obtint non sans difficulté de sa famille l’exeat et le viatique, alla rejoindre à Montélimar le coche de Paris, et se confia vaillamment à sa fortune. Ajoutons à son honneur que, s’il quitta les siens et la terre natale, il leur garda toujours un tendre souvenir. Non-seulement il aida sa famille, mais, devenu riche, il l’enrichit. Il dota ses nièces et les maria brillamment. Il assura le sort de ses neveux. Loin de rougir de son humble origine plébéienne, il fit toujours un accueil cordial aux gens de son pays qui la lui rappelaient et ne manqua jamais l’occasion de leur marquer sa générosité. Peut-être un peu de vanité s’y mêlait-il ? Il est flatteur de secourir ceux qui vous ont connu pauvre. Ce fut néanmoins un beau côté de son caractère.

L’état d’esprit de Maury pendant son voyage n’est pas difficile à deviner. C’est l’ivresse des jeunes méridionaux, et ils sont nombreux, qui marchent à la conquête du nord, comme pour prendre leur revanche de l’invasion des barbares. A Avallon, un étudiant monte dans le coche. La conversation s’engage. Les rêves d’avenir, de succès, de grandeur bouillonnent dans la tête de l’abbé. — Vous serez archevêque de Paris, lui dit l’étudiant. — Quand vous serez ministre, répliqua le futur cardinal. L’étudiant s’appelait Treilhard. Arrivé dans la capitale, Maury se montre d’emblée un lutteur accompli dans ce struggle for life particulier, qui est et était déjà le lot des jeunes ambitieux. Tout en donnant des leçons pour vivre, il se créait des relations utiles. Son premier protecteur fut Lebeau, l’auteur d’une Histoire du Bas-empire, qui enseignait l’éloquence latine au Collège de France. Grâce à l’amitié de Lebeau qu’il avait charmé, il étendit bientôt le cercle de ses connaissances dans le monde des lettres. Rasé et poudré dès huit heures du matin, il visitait les écrivains, il se montrait partout où il voyait quelque profit à tirer. Doué d’une physionomie agréable et expressive, d’un esprit intarissable, d’une mémoire merveilleuse, lisant beaucoup et retenant tout, plein de gaîté, il exerçait une séduction générale. Point timide, il possédait l’art, si précieux pour parvenir, de s’insinuer dans la familiarité des gens arrivés, de ceux qui créent l’opinion et dispensent la notoriété. Deux ans après son arrivée à Paris, il se