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abusé de la crédulité du jury par des promesses d’indulgence qu’il n’aurait pas tenues, un arrêt de justice frappé de suspicion. Les enquêtes bruyantes et indiscrètes se succèdent, et là-dessus surviennent les interpellateurs de parlement s’emparant de l’incident pour le grossir, aggravant les divulgations et les confusions, harcelant le gouvernement qui a la faiblesse de se laisser mettre sur la sellette.

Ainsi voilà des jurés qui, au mépris de tout droit, sans comprendre même leur devoir de juges, livrent le secret de la chambre du conseil ! Voilà un parlement qui entreprend de faire comparaître devant lui un président de cour et d’interpréter ou de casser un arrêt de justice ! Voilà un gouvernement qui ne sait pas même arrêter d’un mot net et décisif toutes ces usurpations. Et l’on parle sans cesse, dès qu’il s’agit d’un évêque ou d’un malheureux curé, de faire respecter les lois ; et ce sont des législateurs qui se font les complices de la violation de toutes les règles judiciaires, de toutes les lois ! Que peut-il résulter de cette subversion de toutes les idées, de toutes les conditions d’une saine vie publique ? C’est bien simple. On ne cesse de se débattre dans ces agitations factices où le parlement n’a de force que pour détruire, ou le gouvernement toujours menacé reste atteint d’une incurable faiblesse. Rien n’est assuré, et au premier accident, à la veille d’une fin de session, un ministre est emporté comme M. le ministre de la marine Cavaignac vient de l’être à l’occasion des affaires du Dahomey. M. le ministre de la justice n’est pas tombé l’autre jour ; il aurait pu tout aussi bien être emporté dans l’affaire du jury de la Seine. Un hasard fait ou défait les ministères ; et il en sera ainsi tant qu’on ne sera pas rentré dans la sérieuse et sincère pratique des institutions, tant qu’il n’y aura pas un parlement sachant rester dans son rôle, un gouvernement relevant le pouvoir pour l’honneur et le profit de la France.

Décidément la paix règne et continue à régner en Europe. Malgré les mauvais pronostics, malgré les excitations de M. Crispi qui est allé récemment sonner ses fanfares guerrières dans un journal américain, la paix ne paraît pas même devoir être troublée de sitôt, au moins à n’observer que la marche ostensible des choses. Ni en France, ni en Angleterre où se poursuivent encore les élections, ni en Allemagne, ni en Russie, il n’y a une apparence de guerre, une ombre d’intentions belliqueuses ou agressives. L’empereur Guillaume II qui, après avoir reçu le roi Humbert à Potsdam et à Berlin, est allé respirer l’air des côtes de Norvège, semble moins occupé de se préparer à entrer en campagne que de régler ses comptes avec M. de Bismarck. Ce n’est pas fini, on ne sait pas trop même comment cela finira, et s’il y a eu de naïfs négociateurs qui ont cru pouvoir rétablir la paix entre le souverain et l’ancien chancelier, ils ont dû perdre leurs illusions. Pour le moment, le duel de paroles continue ; on ne cesse d’échanger des explications malignes, d’aigres récriminations, et avec son caractère