Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 112.djvu/473

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le concordat dans le domaine religieux, comme l’administration dans l’ordre civil : elle est un des trois ou quatre grands ressorts de l’organisation publique de la France. Depuis près d’un siècle, depuis que Napoléon l’a fondée sans prévoir évidemment ce qu’elle deviendrait, mais démêlant avec la sagacité profonde du génie ce qu’elle pouvait ou ce qu’elle devait être, elle n’a cessé d’exister, de se développer, de grandir à travers tous les régimes : car c’est le propre de ces institutions fondamentales d’avoir traversé tous les régimes, parce qu’elles sont l’organisme vivant et permanent de la France sortie de la révolution. La Banque, pour sa part, avec sa constitution, avec le privilège d’émission dont elle est la dépositaire exclusive, n’a pas manqué à son rôle : elle l’a rempli vis-à-vis du commerce comme vis-à-vis de l’État. Elle a été l’auxiliaire vigilante et sûre d’un négoce grandissant, souvent aussi l’auxiliaire libre, mais utile des gouvernemens, la grande régulatrice du monde des affaires et du crédit. Depuis plus de quatre-vingts ans elle s’est maintenue intacte, suffisant à tout sans défaillance, étendant son action sans se jeter dans les aventures. Elle a échappé aux grandes crises, et, par un phénomène bien étrange, on a vu cette institution française garder tout son crédit tandis que le crédit de l’État lui-même avait ses éclipses, — ou être en mesure de venir en aide à des institutions étrangères renommées pour leur solidité comme la vieille Banque d’Angleterre. La Banque de France a dû évidemment sa puissance ou une partie de sa puissance à son caractère d’institution privée, quoique privilégiée, et à la prudence, à la sagesse avec laquelle elle n’a cessé d’être administrée depuis qu’elle existe. Elle a pu devenir ce qu’on la voit, parce qu’elle est à la fois assez indépendante de l’État pour ne pas se confondre avec lui et assez liée à l’État pour n’être pas une puissance presque rivale gouvernant la fortune publique.

Que maintenant, au moment où l’on va renouveler le privilège qui fait de la Banque l’arbitre du crédit, la grande distributrice du premier papier du monde, on veuille lui imposer des obligations ou des conditions nouvelles, s’assurer d’autres avantages, rien certes de plus simple. C’est une question à examiner, à traiter entre les pouvoirs publics et les administrateurs de la Banque. C’est même déjà fait, les conditions nouvelles sont acceptées dans l’intérêt de l’État comme dans l’intérêt du commerce ; mais ce n’est point évidemment de cela qu’il s’agit pour les adversaires de la Banque de France. Ce qu’on veut atteindre, ce qu’on bat en brèche, c’est le principe même, c’est l’organisation tout entière d’une institution qui a subi victorieusement l’épreuve de près d’un siècle. C’est l’institution qu’on poursuit dans son passé, dans ses sages et fortes traditions, dans son esprit, qu’on s’étudie assez puérilement à représenter comme une citadelle du parasitisme, de l’oligarchie financière et bourgeoise, comme un obstacle au