Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 112.djvu/467

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Berlioz a pris parti hardiment. Dans la naissante querelle des anciens et des modernes, l’auteur de la Damnation de Faust, en dépit de son romantisme, tenait au fond pour le passé. Il espérait beaucoup, mais ne craignait pas moins de l’avenir. Je ne m’affilie point, écrivait-il à l’école de demain, je ne jure point par elle, si elle vient nous dire : — « On est las de la mélodie ; on est las des airs, des duos, des trios, des morceaux dont le thème se développe régulièrement ; on est rassasié des harmonies consonantes, des dissonances simples, préparées et résolues, des modulations naturelles et préparées avec art… Il faut, dans un opéra, se borner à noter la déclamation, dût-on employer les intervalles les plus inchantables, les plus saugrenus, les plus laids. »

Berlioz avait raison de prendre ses sûretés, de distinguer entre les promesses et les menaces de l’avenir. Le langage qu’il prêtait à l’école du lendemain, on sait trop que celle-ci l’a tenu. Berlioz, du moins, n’entendait pas y souscrire. Avant de faire du maître un de ses porte-étendards et des Troyens un de ses manifestes, que l’école en question y regarde de plus près : l’étendard n’est pas à ses couleurs et le manifeste, loin de l’annoncer, la désavoue.

Comment, par exemple, les sectaires du nouveau régime peuvent-ils admirer ou seulement admettre le premier air de Didon : Chers Tyriens ? Il est du plus ancien modèle, précédé de récits à peine accompagnés, divisé en deux reprises, dont la seconde fait quelque longueur et provoque un ensemble que devrait prendre en pitié, sous peine de contradiction, la jeunesse d’aujourd’hui. Et quel bon petit accompagnement du temps jadis ! Chez tout autre que chez Berlioz on le traiterait de guitare. Je me hâte d’ajouter qu’on aurait le plus grand tort et qu’une fois de plus on, le fameux on, serait un sot. Je la tiens pour exquise, la première allocution de Didon à son peuple, pour le plus adorable discours du trône, à la fois royal et féminin ; discours de reine et de veuve empreint de jeunesse, d’affabilité et de regrets, mais de regrets déjà sourians et presque consolés. Quelle jolie tonalité d’abord ! Dans les réponses de l’orchestre à la voix, que de distinction, de grâce et de sympathie ! Si longue qu’elle soit, et si soutenue, la phrase se plie aux moindres inflexions de la pensée, à mille nuances de courtoisie d’abord, puis de dignité, de reconnaissance et de patriotique orgueil. La déclamation la plus travaillée n’aurait jamais posé la noble figure de la reine de Carthage avec autant d’aisance et surtout d’amabilité que ces quelques lignes, naturelles et coulantes, de pure musique.

Plus loin, un autre sentiment, celui d’une fraternité féminine, s’exprime avec non moins de délicatesse et par les mêmes moyens : je pense ici au duo des deux sœurs, à la première phrase, si affectueusement insinuante, d’Anna, Anna soror, à la réplique de Didon,