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pour objet non les faits de conscience eux-mêmes, mais les conditions physiologiques et organiques des faits de conscience, c’est-à-dire quelque chose d’extérieur et d’objectif.

Même les médecins eux-mêmes, en tant qu’ils étudient les états de conscience chez les malades, font de la psychologie objective, non physiologique. Par exemple, l’étude de l’hallucination ou des perceptions fausses est une étude de psychologie subjective indirecte, et non de physiologie, si ce n’est en tant que l’on pourrait déterminer les conditions cérébrales de l’imagination : or, c’est précisément là ce qu’on ignore le plus. Un livre comme celui de M. Brierre de Boimont est un livre riche en faits psychologiques, mais ne contient que très peu de documens physiologiques. Le fait que ces observations psychologiques sont faites par un médecin ne suffit pas pour en faire de la physiologie. Tout homme est psychologue, et le médecin peut être psychologue au même titre que les autres hommes. Ce qui fait que ce sont les médecins qui font ces sortes d’observations, c’est qu’ils ont seuls ces sortes de malades sous leurs yeux, tandis que les philosophes de profession n’ont pas des fous ou des hallucinés dans leurs cabinets. Ce n’en est pas moins au fond la même méthode, ici directe, là indirecte, mais ayant un seul et même objet, à savoir les faits subjectifs, les faits de conscience.


III

Nous n’avons pas épuisé l’histoire du conflit qui s’est élevé de nos jours entre la psychologie et la physiologie. Nous en avons vu deux périodes : dans la première, les deux points de vue sont rigoureusement séparés. Jouffroy part de la méthode psychologique interne comme d’une méthode absolument suffisante en elle-même, sans nier cependant et même en proclamant très haut la nécessité du concours des deux sciences, mais sans y insister ; dans la même période au contraire, Auguste Comte nie absolument le procédé psychologique subjectif, et n’admet que la méthode physiologique et organique, sauf à se contredire cependant, lorsqu’il en arrive à la physiologie intellectuelle et morale, en prenant comme division principale la distinction de l’esprit et du cœur, distinction qui est toute psychologique. Dans la seconde période, qui est celle de M. Herbert Spencer, les deux psychologies, l’une subjective, l’autre objective, sont admises concurremment comme nécessaires pour constituer la psychologie totale ; mais elles sont encore soigneusement distinguées, et même la prépondérance est assurée à la