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opérations. La psychologie objective n’est donc pas une science de faits : c’est une science de signes qui n’atteint les faits qu’indirectement et en passant par le domaine de la conscience subjective. Elle n’est une science d’observation qu’au second degré. Or, un esprit vraiment scientifique peut-il croire avoir vraiment servi la science en substituant à l’observation des faits eux-mêmes la méthode interprétative qui n’atteint les faits qu’à travers leurs signes. On dit que la méthode indirecte est plus féconde que la méthode directe. C’est toujours le même sophisme : à titre de rectification et de complément, oui peut-être ; à titre de base scientifique, non. Même les faits contradictoires que cette méthode indirecte peut faire découvrir n’ont de signification et d’intérêt que par comparaison avec les faits généraux et normaux attestés par l’observation intérieure. On recherche aujourd’hui de tous côtés ce que l’on appelle le dédoublement de la personnalité ; mais ces faits ne sont vraiment intéressans que dans leur rapport avec la théorie de l’unité du moi, telle qu’elle résulte ou paraît résulter de l’observation subjective. Supposez que l’on n’ait aucune notion de l’unité de conscience, de l’identité personnelle, et les faits de dédoublement n’ont plus qu’une valeur de rareté, de curiosité : ce sont des anecdotes, des jeux de la nature, comme le veau à deux têtes, dont s’étonne le vulgaire. La théorie de la conscience retombera dans le vague où elle est pour le sens commun ignorant. Il en est de même des faits par lesquels on établit ou on essaie d’établir ce que l’on appelle des consciences collectives. Ces faits, si on ne les rapproche de la théorie psychologique de l’impénétrabilité des consciences, n’ont plus qu’une valeur littéraire, comme lorsqu’on dit : la conscience d’une nation, la conscience d’une armée. C’est seulement lorsque, par l’observation interne, on a trouvé le principe de l’individualité des consciences, c’est alors seulement que ces faits contradictoires prennent toute leur valeur, soit que, par une analyse plus avancée, on puisse les faire rentrer dans la loi commune, soit qu’ils ouvrent la voie à une théorie plus compréhensive et plus profonde.

En résumé, Auguste Comte, dans sa critique de la psychologie, n’a prouvé qu’une chose, c’est qu’il ignorait complètement la science qu’il voulait proscrire. Voyons si la thèse a été fortifiée par les argumens des nouveaux critiques.


II

Nous avons exposé d’abord sous sa forme la plus aiguë et la plus tranchante le conflit de la psychologie et de la physiologie, et