Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 112.djvu/424

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les discussions qui ont eu lieu depuis sur l’objet et la méthode de la psychologie. On peut sans doute étendre et développer les vues de Jouffroy ; mais les bases qu’il a établies sont inébranlables. Que cette science d’ailleurs puisse se compléter, s’enrichir par des annexes nouvelles, cela prouve précisément qu’elle était susceptible de progrès. Nous avons à rechercher, dans la thèse de Jouffroy, ce qui demeure acquis et incontesté, et les additions légitimes que le temps y a apportées. Ces additions ressortent des objections même élevées contre Jouffroy. Considérées en elles-mêmes, ces objections ont une valeur sérieuse, comme indication des points de vue nouveaux que la science avait à aborder et à parcourir. Rien de plus facile que de faire ce partage et de réconcilier ce que l’on appelle la vieille psychologie avec la nouvelle.


I

L’adversaire le plus intraitable, le plus intransigeant de la psychologie subjective, de la psychologie à la Jouffroy, a été Auguste Comte : « Les métaphysiciens, dit-il, ont imaginé dans ces derniers temps de distinguer, par une subtilité fort singulière, deux sortes d’observation d’égale importance, l’une extérieure, l’autre intérieure, et dont la dernière est uniquement destinée à l’étude des phénomènes intellectuels. Quant à observer les phénomènes intellectuels, pendant qu’ils s’exécutent, il y a impossibilité manifeste. L’individu pensant ne saurait se partager en deux, dont l’un raisonnerait, tandis que l’autre se regarderait raisonner. » Telle était la première objection d’Auguste Comte. Il en ajoutait deux autres, de non moindre importance : « Une telle méthode, disait-il, en la supposant possible, devait tendre à rétrécir extrêmement le champ de l’intelligence en la limitant, de toute nécessité, au seul cas de l’homme adulte et sain, sans aucun espoir d’éclairer jamais une doctrine aussi difficile par la comparaison des différens âges, ni par la considération des divers états pathologiques. » Enfin il imputait à cette méthode ce qu’il appelait « l’interdiction absolue jetée sur toute étude intellectuelle ou morale, relative aux animaux, de la part desquels les psychologues n’attendent sans doute aucune observation intérieure. »

Ainsi : 1° impossibilité de s’observer soi-même ; 2° la psychologie réduite à l’étude de l’homme adulte et de l’homme sain ; 3° exclusion de l’étude psychologique des animaux, — tels sont les trois points qu’Auguste Comte dénonce comme les vices essentiels de la