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recevait en gage des vêtemens et des faux bijoux. Enfin, il savait les noms de la plupart des associés et il parlait leur jargon avec une science rare. Perrenet le Fournier s’excusa d’abord sur ce qu’ayant appris dans sa jeunesse quelques mots de jargon ancien, et joué aux dés, aux cartes et aux marelles, la vie des coquillards l’avait intéressé. Puis il révéla les noms des principaux compagnons et l’organisation de la bande ; enfin, il dicta un vocabulaire de leur langage. Il tenait tous les détails, disait-il, d’un coquillard du nom de Jehanin Cornet, d’Arras.

Ainsi que l’association criminelle qui porte aujourd’hui en Italie le nom de Camorra, la société de la Coquille était disposée comme une corporation, et elle avait ses apprentis, ses maîtres et son chef. Le nombre des affiliés, suivant Perrenet, était de mille, et d’après des documens de 1459, de cinq cents seulement. Ils avaient un roi qui se nommait le Roi de la Coquille. Ceux qui entraient dans la bande comme apprentis s’appelaient gascâtres. Une fois instruits, ils devenaient maîtres ; et quand ils étaient « bien subtils en toutes les sciences, ou aucune d’icelles, » on les nommait longs. Car les coquillards avaient différentes professions. Les vendengeurs coupaient les bourses ; les beffleurs escroquaient aux dés (gourds), aux cartes (la taquinade), aux marelles {Saint-Marry ou Saint-Joyeux) au jeu de la courroie (queue de chien). Les envoyeurs et les bazisseurs assassinaient. Les desrocheurs dépouillaient entièrement l’homme qu’ils volaient, et les desbochilleurs ne laissaient rien aux niais qui se laissaient entraîner à jouer avec eux. Quand il s’agissait de vendre de faux bijoux ou des lingots fraudés, chacun avait son rôle particulier. Le dessarqueur allait examiner l’endroit et causer avec la dupe pour préparer l’affaire. Le baladeur venait parler à l’homme d’église ou au paysan qu’on voulait tromper, et engager la négociation. Le confermeur de la balade était chargé d’affirmer l’honnêteté de la vente et l’intégrité de la marchandise. Enfin, c’était le planteur qui apportait les fausses chaînes, les pierres contrefaites ou les lingots. On appelait les bijoux falsifiés des plants. Les blancs coulons ou pigeons blancs allaient coucher dans les hôtelleries avec les marchands de passage. Ils les volaient, se volaient eux-mêmes et jetaient le butin par la fenêtre aux fourbes qui l’attendaient. Puis ils se lamentaient et se plaignaient avec le marchand dérobé.

Pour le jargon des coquillards, il est de tous points semblable à celui des ballades de François Villon. Ils appelaient la justice marine ou roue. Tromper la justice, c’était blanchir la marine. L’homme qu’on décevait était blanc, sire, dupe ou cornier. Ils nommaient les sergens gaffres et les prêtres ras ; le crochet à ou-