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gabonds étaient souvent aussi ménétriers ou vielleurs, allaient jouer « par les festes de menestrerie et portoient les poupetes. » D’autres étaient « pardonneurs , » comme ceux dont parle Chaucer en Angleterre, ou « porteurs de bulles, » comme ceux que cite Villon dans la Ballade de bonne doctrine. Ils étaient faux pèlerins et montraient des lettres attestant qu’ils revenaient de Rome ou de Saint-Jacques de Gompostelle, ou ils « contrefaisoient l’homme de guerre, » portant vouges, cranequins et plançons crêtelés à la ceinture.

En effet, les routes étaient infestées d’hommes armés. La guerre de cent ans avait désorganisé la société. À la fin du XIVe siècle, certaines bandes, qui s’étaient formées avec les débris des grandes compagnies, continuèrent à tenir le pays, « échellant » les villes et les « appâtissant, » vivant des provisions qu’ils obtenaient par force des habitans du plat pays, détroussant ou rançonnant les marchands. À l’ouest, la Normandie fui désolée par une bande de criminels qu’on appelait Faux-Visages, parce qu’ils portaient des masques. Ils arrêtaient les convois de marchands qui circulaient de nouveau dans un pays à peu près pacifié. À l’est, après la bataille de Saint-Jacques, les bandes des Écorcheurs se rompirent et vécurent sur le pays autour de Dijon et de Mâcon. Il y avait là de vieux routiers qui avaient fait campagne avec les capitaines espagnols, comme Rodrigue de Villandrando et Salazar, jusque sur les marches de Gascogne ; des Écossais, des Lombards et des Bretons, qui gardaient la terrible tradition de chefs tels que Fortépice et Tempête. Ils errèrent entre Langres, Toul et Auxonne, et passèrent souvent en Alsace. Les villes étaient si pleines de terreur qu’elles refusaient même de recevoir les soldats réguliers qui devaient les protéger contre ces invasions. Les Écorcheurs avaient coutume de ravager en été les pays situés plus au sud, et d’attaquer les villes du Dijonnais pendant le froid, afin d’y hiverner. Ainsi cette population errante des routes de France, faite de mendians, de faux clercs, de pillards et de traîneurs d’armée, était prête à accueillir les gens qui fuyaient la justice ; et on comprend aisément que ces élémens variés aient pu constituer une grande association criminelle qui tint le pays pendant plus de sept ans, de 1453 à 1461, dont faisaient partie presque tous les malfaiteurs de profession, et où François Villon allait entrer pendant sa vie vagabonde.

À sa sortie de Paris, Villon erra d’abord dans les environs. Il nous dit lui-même qu’il resta huit jours à Bourg-Ia-Reine, où Perrot Girard, barbier juré, le nourrit de cochons gras. L’abbesse de Pourras, c’est-à-dire du Port-Royal, comme l’a lort judicieuse-