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lité d’un couvent étaient chargés d’annoncer ainsi la mort d’un frère en religion aux moines des couvons du même ordre. Ils payaient de ce prix l’hospitalité qu’on leur donnait. C’étaient de sinistres messagers qui arrivaient dans les abbayes, à la nuit tombante, avec le rouleau des morts. On ajoutait des noms à la liste, et ils promettaient de prier pour les âmes pendant leur route. Quelques-uns de ces rouleaux des morts ont plus de vingt mètres de long, tant les clercs y avaient fait inscrire de décès, tant ils avaient été hébergés dans les couvens de tous les pays. On donna à ces vagabonds le nom de goliards, qui fut très rapidement pris dans un mauvais sens. Déjà, au XIe siècle et au XIIe siècle, les goliards d’Allemagne composaient des chansons en latin et en allemand. Un manuscrit les a conservés sous le nom de Carmina Burana, Ce sont souvent de véritables chansons de route, où les vagabonds se réjouissent du printemps, des prairies vertes pleines de fleurs, ot des auberges où on leur donne du vin à boire. D’autres sont extrêmement licencieuses et justifient pleinement le mépris où tomba le nom de goliard. Au XVe siècle, la goliardise faisait perdre le privilège de clerc, comme la bigamie ou l’exercice de certains métiers. Entre 1450 et 1460, lorsque Régnier de Montigny et Colin de Cayeux se réclamèrent de la justice ecclésiastique, on leur opposa au Parlement qu’ils étaient pipeurs et goliards. Les écoliers errans répandirent partout leur mauvais renom. Dans une liste de proverbes qui fut ajoutée à une des plus anciennes éditions de Villon, figure celui-ci : « Pire ne trouverez que escouliers. » Le Liber vagatorum, qui parut d’abord à Bâle entre 1494 et 199, catalogue les gohards parmi les classes dangereuses. Ce Liber vagatorum n’est d’ailleurs que le développement d’une enquête sur les vagabonds que le conseil de Bâle fit faire au commencement du XVe siècle et qui fut insérée dans les annales de Johannes Knebel en 1475. « La sixième classe, lit-on dans le Liber vagatorum, est celle des Kammesierer. Ce sont des mendians ou jeunes écoliers, jeunes étudians, qui ne suivent ni père, ni mère, n’obéissent plus à leurs maîtres, tombent en apostasie et fréquentent la mauvaise société. Ils sont fort instruits dans l’art du vagabondage, par lequel ils boivent, gaspillent, jouent, et perdent leur argent en débauches. Ils se font faire de fausses tonsures, quoiqu’ils n’aient souvent pas reçu les ordres et ne possèdent aucune lettre de confirmation. » La septième classe est celle des Vagierer, qui sont aussi des mendians, et se disent écoliers voyageurs (farnder Schuler), maîtres de magie et conjurateurs du diable. On reconnaît là le Fahrender scolasticus, sous l’habit duquel Méphistophélès apparaît à Faust dans le drame de Goethe. Les clercs va-