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le nombre de procureurs et d’avocats au Châtelet. Il y a là maîtres Jacques Charmolue, Germain Rapine, Guillaume de Bosco, Jean Tillart, examinateur à la chambre criminelle, Raoul Crochetel, Jean Chouart, Jean Douxsire et d’autres encore, jusqu’à Jean Truquan, lieutenant criminel du prévôt de Paris. Voilà quelle était la société habituelle du chapelain de Saint-Benoît-le-Bétourné. On comprend dès lors que François Villon ait connu nombre de gens du Châtelet, outre ceux avec qui il eut relation par force, et qu’il ait entretenu commerce d’amitié avec le prévôt Robert d’Estouteville. On est moins surpris que le chapelain de Saint-Benoît ait pu tirer son fils adoptif « de maint bouillon ; » on apprend par quelles influences François Villon put se faire accorder deux lettres de rémission pour le même crime, sollicitées sous deux noms différens, et comment il obtint gain de cause par un appel au parlement, dans un temps où l’appel était d’institution si récente et où les appelans réussissaient si rarement. Il est possible que Jean de Bourbon, Ambroise de Loré, peut-être même Charles d’Orléans aient intercédé pour lui ; mais sans doute le plus souvent, il eut recours aux amis de Guillaume de Villon parmi lesquels il fut élevé.

Ainsi il entendit de fort bonne heure les conversations des gens de robe et il fut marqué pour être clerc, peut-être suivant ses goûts, et envoyé à l’Université, où sa bourse, qu’il versait toutes les semaines entre les mains de l’économe, était de deux sous parisis. Il y étudia sous maître Jean de Gonflans. Aristote et la Logique ne paraissent pas l’avoir attiré, car il les raille sans pitié dans sa première œuvre. Mais les légendes de l’Ancien et du Nouveau-Testament, l’histoire d’Ammon, celle de Samson, le conte grec d’Orphée, la vie de Thaïs, les touchantes aventures d’Hélène et de Didon, lui laissèrent de vifs souvenirs. Il eut assez tôt le goût des vieux romans français et des héros de nos traditions. En fait, son premier poème, la première ébauche qu’il esquissa, encore écolier, et que nous avons perdue, fut un roman héroï-comique. L’histoire de ce roman est liée si intimement à l’existence même de François Villon pendant cette période qu’il faut l’exposer succinctement ici.

L’Université en 1452 était dans un désordre très grand, et François Villon y entra au moment où les écoliers y devenaient rebelles et tumultueux. Les troubles duraient depuis l’année 1444. Le recteur, sous prétexte qu’il avait été insulté pour son refus de payer une imposition, fit cesser les prédications du 4 septembre 1444 au 14 mars 1445, dimanche de la Passion. Il y avait des précédens, et dans une affaire de ce genre, l’Université avait eu gain de cause en 1408. Gependant la justice laïque devint sévère ; quelques écoliers furent emprisonnés, et malgré les réclamations de l’Uni-