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Toutes les méthodes d’éducation physique doivent compter avec la nécessité de donner un attrait quelconque aux mouvemens, même les plus utiles et les mieux choisis. Il est intéressant, quand on voyage à l’étranger, d’observer les efforts faits dans divers pays pour atteindre ce but de rendre l’exercice attrayant. Il est parfois curieux de noter par quelle recherche de moyens singuliers on s’ingénie à pallier l’aridité et la monotonie des exercices systématiques.

En décembre dernier, passant à Leipzig, nous visitions un de ces grands gymnases que les Allemands appellent « turnen, » et qui ressemblent d’ailleurs exactement aux nôtres, par leur attirail de trapèzes, de recks, et de cordages, aussi bien que par les mouvemens d’ensemble, méthodiquement rythmés, qu’on y exécute au commandement. Le but de notre visite n’était pas précisément de voir à l’œuvre les gymnastes allemands dans leurs exercices habituels, mais d’assister à une séance spéciale réservée à des hommes mûrs, employés d’administration, de bureau, de magasin, qui venaient chaque soir, par hygiène, faire de l’exercice pendant une heure sous la direction d’un moniteur de gymnastique. Nous trouvâmes réunis, sous la lumière du gaz, une centaine d’hommes âgés de trente à soixante-cinq ans. On voyait parmi eux beaucoup beaucoup de têtes grises, beaucoup de crânes dénudés ; les uns étaient pâles et amaigris avec des dos voûtés, des omoplates saillantes, d’autres bouffis d’embonpoint, avec des faces apoplectiques, des ventres énormes. A tous ces hommes que la vie sédentaire avait étiolés, épaissis ou déformés, aucun remède assurément ne convenait mieux que l’exercice, et c’était bien le cas, semblait-il, de l’appliquer pour lui-même sans trop chercher des procédés amusans, les bénéfices hygiéniques étant là assez importans, et assez bien compris des intéressés pour qu’il ne fût pas besoin d’y ajouter la distraction et le plaisir. Malgré cela on avait cru devoir mêler l’agréable à l’utile. Il s’agissait de faire exécuter à l’ensemble de la troupe une série de mouvemens qui missent successivement en travail chacune des parties du corps demeurées inertes pendant les longues occupations du magasin ou du comptoir ; et l’on avait choisi justement cette forme de gymnastique dont nous déplorions tout à l’heure l’insipide monotonie et qu’on appelle les exercices « du plancher. » Mais, à Leipzig, on a cru trouver le moyen de rendre ces mouvemens moins monotones… en les faisant exécuter en musique ! Et voici comment est réglé le « divertissement. » Les hommes se rangent sur plusieurs lignes, conservant entre eux une distance suffisante pour se mouvoir à l’aise, et devant leur front de bataille se tient le moniteur, monté sur une