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peu, on en vint à considérer tous les exercices de force et d’adresse comme de simples distractions, voire même comme des passe-temps futiles, des prétextes à faire parade d’une supériorité corporelle à laquelle un homme sérieux ne pouvait attacher aucun prix. Ce dédain, très accentué dans la génération qui a précédé la nôtre, n’avait, à tout prendre, rien que de parfaitement logique à une époque où l’on se piquait d’avoir l’esprit « pratique, » et en présence de résultats dont on ne voyait pas l’application ni l’utilité.

Ce n’est pas sans intention que nous rappelons ici des faits de notoriété si banale. Ce coup d’œil en arrière a pour but de montrer une fois de plus le lien étroit et nécessaire qui rattache toujours nos institutions et nos coutumes à la notion que nous avons, ou que nous croyons avoir, de nos besoins, et d’expliquer comment les tentatives faites en France, depuis le commencement du siècle, pour remettre en honneur les exercices corporels, ont toujours échoué, jusqu’au moment où s’est enfin imposée à l’esprit public la notion exacte de leur utilité pratique.

En 1820, M. de Chabrol, préfet de la Seine, appuya de tout son pouvoir les tentatives faites par Amoros pour introduire la gymnastique à Paris, et créa un gymnase « normal » civil. Mais sa tentative n’eut aucun succès. La gymnastique fut promptement délaissée, et nous n’avons pas même aujourd’hui une institution analogue à celle dont M. de Chabrol avait doté Paris : il n’existe pas en France d’école normale civile de gymnastique. En 1845, une commission fut nommée pour mettre à l’étude l’introduction de la gymnastique dans nos maisons d’éducation. Cette commission se sépara sans avoir rien fait. En 1854, M. Fortoul, ministre de l’instruction publique, réunit une nouvelle commission dont fut rapporteur le docteur Bérard, professeur agrégé de la faculté de médecine. On décida que la gymnastique serait obligatoire dans les lycées. Déjà, deux ans plus tôt, avait été fondée l’école militaire de gymnastique de Joinville. A partir de ce moment, on put croire que l’éducation physique imposée à la fois à la population civile et à l’armée allait progresser rapidement et pénétrer partout : mais on sait avec quelle froideur furent accueillis les exercices gymnastiques pendant les vingt années qui suivirent le décret de M. Fortoul. C’est qu’il ne suffit pas, pour qu’une institution prospère, qu’elle soit décrétée d’utilité publique : il faut que le pays comprenne bien qu’elle peut rendre des services. Et le public français ne comprit pas l’utilité de la gymnastique. Le décret de M. Fortoul n’excita que les railleries de la presse. On ne vit dans la sanction donnée aux exercices physiques qu’une sorte de