êtes de bon conseil et je désire vous consulter sur une résolution que je vais adopter et sur la forme que je dois lui donner, car je suis encore indécis. Veuillez m’écouter, la chose en vaut la peine. Je suis M. de Saint-Preux, mais cela ne me suffit pas. Il n’est aujourd’hui si mince croquant qui n’ajoute un de à son nom ; il m’est désagréable d’être confondu avec ces espèces. Je vais prendre un titre, mais lequel ? Je vous avouerai que mon embarras est extrême, j’hésite, conseillez-moi. Le marquis de Saint-Preux, c’est bien ; le comte de Saint-Preux, ce n’est pas mal ; je vous prie, tirez-moi de perplexité, à ma place que feriez-vous ? » Je répondis : « L’un et l’autre sont de résonance sérieuse et l’on peut en être satisfait ; mais tous deux offrent un inconvénient qui n’est pas sans gravité : la restauration a fait des marquis, l’empire a créé des comtes : ne craignez-vous pas que, si vous choisissez un de ces deux titres, on ne s’imagine que vous êtes de noblesse récente ? — Eh ! parbleu ! s’écria-t-il, je sais bien que c’est là l’objection ; mais on peut l’adresser à presque tous les titres ; il est certain que je préfèrerais être sénéchal, mais il n’y a pas à y songer. Voyons, faisons une répétition, cela nous aidera peut-être à bien choisir. » Il sortit, ferma la porte, la rouvrit et annonça : « M. le marquis de Saint-Preux ! » Je dis : « L’impression est favorable. » Il recommença le même manège : « M. le comte de Saint-Preux. » Je dis : « Ma foi, j’opine pour le comte, c’est du reste un titre de noblesse d’épée et que le théâtre a moins raillé que celui de marquis. — Vous avez raison, me répondit-il, adieu et merci ; je vais commander mes cartes de visite. »
Il vivait dans un milieu ironique et batailleur, on se moqua de lui, il se fâcha ; après son troisième duel on le laissa tranquille et le titre lui fut acquis, si bien qu’il le porta pendant la durée de son existence et qu’on le peut lire sur son tombeau. J’ajouterai que c’était un homme de courage, d’esprit et d’un grand talent. Est-il le seul, dans le monde parisien, qui ait reçu des lettres de noblesse de sa propre chancellerie ? De ces vanités de la jeunesse en son aurore subsiste-t-il quelque chose aux heures du crépuscule ? J’espère que non, mais je n’en répondrais pas.
Lorsque j’avais vingt ans, les vieillards étaient unanimes à reconnaître que les hommes de mon âge étaient fous ; à l’heure qu’il est, mes contemporains proclament que les jeunes gens n’ont pas le sens commun. Refrain suranné que chaque génération entend