Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 112.djvu/262

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cents prisonniers, à charge d’échange. Le 7 septembre, il commença d’acquitter sa dette ; on vit arriver aux avant-postes sept cent cinquante hommes, non pas des régimens de l’armée de Metz, mais de ceux qui avaient combattu à Beaumont et à Sedan. L’émotion fut grande ; loin de comprimer les cœurs, elle les gonfla d’un tumultueux désir de vengeance.

Le 10, autre émoi : la révolution du 4 septembre ! Le maréchal Bazaine essaya vainement d’en arrêter la nouvelle. Il déclara qu’en attendant les ordres du gouvernement, il s’abstiendrait de grandes luttes, mais que les commandans des corps devaient tenir leur monde en haleine et l’ennemi en alerte par de fréquentes actions de petite guerre. Sur les questions de politique il se tenait fort réservé ; surpris par l’événement, il attendait. Selon l’opinion connue ou présumée de ceux avec lesquels il s’entretenait tête-à-tête, son langage variait de façon à donner satisfaction à chacun tour à tour. De fait il y avait dans l’armée une grande divergence de sentimens ; on en eut la preuve, le dimanche suivant, à la parade où devaient être reconnus les officiers nouvellement promus dans le 6e corps. Certains colonels employèrent l’ancienne formule : Au nom de l’empereur ! D’autres dirent : Au nom du peuple français ! ou bien : Au nom de la république française ! ou bien encore : Au nom du gouvernement de la défense nationale ! Un ordre rétablit provisoirement la formule d’usage.

La petite guerre recommandée par le général en chef se faisait de temps à autre, principalement sous la forme de fourrages exécutés dans les villages situés entre les lignes des deux armées. Ils ne donnèrent pas assez de résultats pour relever le stock des approvisionnemens dont on commençait à s’inquiéter avec raison. Les hommes ne soutiraient pas encore, bien que les rations de vivres eussent été déjà réduites ; mais les chevaux mouraient de faim ; la cavalerie ne comptait plus, par régiment, que deux escadrons en état de service, et l’artillerie diminuait dans la même proportion le nombre de ses batteries attelées. Si l’on voulait s’ouvrir un passage de vive force à travers les lignes allemandes, en un mot si l’on voulait combattre, il n’y avait plus de temps à perdre. Assurément l’armée le voulait de grand cœur ; le maréchal Bazaine le voulait-il aussi bien ?


VI

Jusqu’ici nous n’avons pu noter dans son attitude qu’un goût marqué pour la temporisation, pour l’attente, résultat de la défiance de soi-même, de la défaillance intellectuelle : voici qui est plus grave, la préoccupation politique, la connivence avec