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brouillard couvrait la campagne ; il ne se dissipa qu’après sept heures. Les Allemands étaient accourus en masses profondes et leur artillerie avait la supériorité du nombre et du tir. L’action reprise ne donna pas d’aussi bons résultats que ceux de la veille ; il fallut céder peu à peu le terrain conquis, puis rentrer dans le camp retranché de Metz ; l’ennemi n’inquiéta pas la retraite. Telle a été la bataille de Noisseville.

Fidèle à sa manière de répartir sur d’autres têtes la charge de responsabilité qui pesait sur la sienne, le maréchal Bazaine ne manqua pas de se plaindre que ses ordres n’eussent pas été exécutés comme ils auraient dû l’être. « Je l’avais entendu déjà, dans plusieurs circonstances, écrit le général Jarras, insinuer que ses lieutenans manquaient d’intelligence de la guerre et négligeaient quelquefois, peut-être avec intention, de se conformer aux ordres qu’il leur donnait ; mais, soit par nature, soit par calcul, le maréchal Bazaine ne pouvait pas se résoudre à exercer le commandement d’une main ferme et vigoureuse. Trop souvent ses ordres manquaient de précision ; dans bien des cas, on pouvait croire qu’ils prêtaient volontairement à l’équivoque. Écrasé par le sentiment de sa responsabilité, il lui semblait qu’elle était partagée par ceux qui étaient les plus élevés après lui, lorsqu’il les avait consultés même indirectement. En même temps il dépréciait ces mêmes lieutenans et, pour mieux parvenir à son but, il les attaquait par le ridicule. Cependant il accueillait avec une bonhomie trompeuse tous ceux qui l’approchaient, et il m’est arrivé plusieurs fois de le voir faire une très gracieuse réception à ceux que, quelques instans auparavant, mais en leur absence, il avait accablés non-seulement de ses sarcasmes, mais encore de ses insinuations malveillantes. Il se croyait populaire et voyait avec un dépit mal dissimulé ce qui pouvait attirer sur d’autres l’attention publique. C’est dans ce sens qu’on peut dire qu’il était jaloux du commandement. Il était facile de le voir au soin qu’il prenait de rejeter les insuccès sur ses sous-ordres. »


V

Le 3 septembre, on entendit des avant-postes de grandes clameurs dans les lignes prussiennes. Deux jours plus tard, les vigies signalèrent à l’horizon vers le sud de longues traînées de poussière comme en soulèvent les colonnes en marche ; aussitôt le bruit courut à travers les camps d’une grande défaite des Allemands qui se repliaient à la hâte. Hélas ! c’étaient les débris de l’armée de Châlons qui s’en allaient en Allemagne. Après les batailles de Rezonville et de Saint-Privat on avait renvoyé à l’ennemi quinze