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suite encore, en douze grandes pages de petit texte, le journal de marche du 64e de ligné, depuis le 21 juillet 1870, « départ de Calais, » jusqu’au 31 août, a combat de Servigny. »

Dans un passage excellent de son livre, le général Jarras a porté sur l’état d’esprit du maréchal Bazaine, en ce moment critique, un jugement qui deviendra l’arrêt de l’histoire. « Ni par l’étendue de son savoir, ni par son génie militaire, ni par l’élévation de son caractère, le maréchal Bazaine n’était en mesure de tirer l’armée du Rhin de la situation fâcheuse où elle se trouvait, le jour où il lut investi du commandement en chef. Il est d’ailleurs une qualité indispensable dans les circonstances difficiles qui lui faisait complètement défaut. Il ne possédait en aucune manière l’énergie du commandement, il ne savait pas dire : Je veux, et se faire obéir. Donner un ordre net et précis était de sa part une chose impossible. Je crois aussi bien fermement que, quoi qu’il fît, il sentait dans son for intérieur que la situation et les événemens étaient au-dessus de ses forces. Il succombait sous le poids de cette vérité accablante. N’ayant pas su arrêter un plan de conduite, il n’avait pas un but net et précis ; il tâtonnait et voulait ne rien compromettre, en attendant que les événemens lui ouvrissent des horizons nouveaux dont il espérait, au moyen d’expédiens plus ou moins équivoques, parvenir à dégager, sinon son armée, au moins sa personnalité et ses intérêts. Faute de mieux, il s’est abandonné au hasard, dernière ressource de ceux qui ne comptent plus sur eux-mêmes. Mais que l’on suppose un instant le commandant en chef de l’armée du Rhin doué de l’énergie puissante et patriotique des grandes âmes, il eût méprisé tous les petits calculs plus ou moins aléatoires pour marcher franchement et virilement droit au but. Il eût certainement enflammé de cette pensée tout à la fois si grande et si simple son armée entière, depuis ses commandans de corps d’armée jusqu’aux derniers soldats ; il l’eût entraînée d’enthousiasme à un effort suprême, et fortement résolu à vaincre à tout prix, j’ai la conviction qu’il aurait vaincu. »


IV

C’en était fait. Ramenée à Metz, sous le canon des forts, l’armée désormais était rivée à la place. Le 19 août, elles commencèrent d’être bloquées ensemble. Il y avait huit jours que Bazaine avait pris le commandement.

À cette même date, il adressait à l’empereur le télégramme qui devait entraîner de si fatales conséquences : « Les troupes sont fatiguées de ces combats incessans qui ne leur permettent pas les soins matériels ; il est indispensable de les laisser reposer deux ou