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13,000 cavaliers, de 10,000 artilleurs ; en y ajoutant les troupes du génie, les services administratifs et les services auxiliaires, on pouvait compter 160,000 hommes. L’artillerie avait 90 batteries attelées, soit 540 bouches à feu, canons et mitrailleuses.

L’attaque des Prussiens sur Borny, le 14 août, victorieusement soutenue et contenue par les 3e et 4e corps, avait eu pour objet et eut pour effet de retarder la retraite de l’armée dans la direction de Verdun et sa concentration sur le plateau de Gravelotte. La journée du 15 fut employée tout entière au défilé des colonnes suivant les directions indiquées ; le soir venu, quelques-unes d’entre elles n’avaient pas encore atteint les emplacemens assignés à leurs bivouacs. Cependant, de mauvais symptômes étaient signalés ; l’ennemi, ayant passé la Moselle au-dessus de Metz, forçait de marche sur la gauche, et ses éclaireurs avaient été vus sur la route de Verdun, à Mars-la-Tour. L’empereur était à Gravelotte ; le général Jarras l’y aperçut, comme à l’ordinaire, calme, impassible. ; mais le prince impérial, inquiet, anxieux, allait de l’un à l’autre, quêtant des opinions rassurantes, des impressions favorables, des motifs d’espérance. Enfin, dans la nuit du 15 au 16, vers trois heures du matin, Napoléon III et son fils, escortés par une brigade de cavalerie, quittèrent Gravelotte et par Doncourt purent gagner Verdun ; ils allaient rejoindre les troupes qu’on réunissait au camp de Châlons. Quelques heures plus tard, c’eût été trop tard. Le 16, à dix heures, commençait la bataille de Rezonville.

Comme à Borny, l’armée se défendit vigoureusement et gagna même un peu de terrain sur sa droite ; comme à Borny, les Prussiens se tinrent satisfaits, parce qu’ils avaient encore une fois retardé la marche de l’armée française. Non-seulement ils l’avaient retardée, ils lui avaient coupé la route directe de Metz à Verdun ; en dépit de ses efforts, le 4e corps n’avait pas pu les déloger de Mars-la-Tour. Dans les bivouacs français néanmoins, on se félicitait, on était fier de cette rude journée ; il y avait plus au nord d’autres chemins, celui de Briey par exemple, et l’on ne doutait pas que, dès les premières heures du lendemain, par un simple changement de direction, la marche ne fût reprise ; personne, même parmi les pessimistes, ne s’arrêtait à l’idée qu’on pût rétrograder vers Metz. Dans la nuit, tout à coup, l’ordre en fut donné. Quelle stupeur ! Vers onze heures du soir, le maréchal Bazaine avait dicté au général Jarras une circulaire qui prescrivait aux commandans des corps d’armée de se replier, dès le point du jour, de prendre position, la gauche à Rozérieulles, la droite à Saint-Privat, et de s’y couvrir par des ouvrages de campagne. Quel était le prétexte de ce recul ? L’insuffisance, sinon le manque de vivres et de munitions. Pour les vivres, le prétexte était faux ;