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Avec tout cela ce voyage n’a pas été assurément moins curieux. Si M. de Bismarck n’a point eu les honneurs officiels, il a eu toute sorte d’ovations populaires spontanément organisées pour le fêter. Partout, sur son passage, à Berlin, à Dresde et depuis à Munich, il a été entouré de multitudes qui lui ont porté des fleurs, qui l’ont acclamé en le pressant de parler. A Vienne même, la police a été obligée de disperser les manifestations qui allaient le chercher jusque dans sa retraite. S’il n’a pas parlé aux populations, s’il a dit assez plaisamment que la consigne pour lui était de se taire en public, il a pris sa revanche dans des entretiens privés et ne paraît pas s’être gêné sur la faiblesse de son successeur, sur les inconstances de son maître, sur la politique qui a aliéné la Russie et préparé de nouveaux dangers de guerre. Il a savouré le plaisir superbe de se venger par l’ironie, de se voir dédommagé par cette popularité qu’il a tant méprisée autrefois. Malheureusement c’est une vengeance sans durée, peut-être peu digne de lui, et comme ces ovations faites pour flatter son orgueil étaient plus ou moins des manifestations contre l’empereur Guillaume lui-même, il est douteux qu’elles aient contribué à adoucir les rapports entre le jeune souverain et son ancien chancelier. M. de Bismarck n’a plus d’autre ressource que de rentrer à Friedrichsruhe comme il en est sorti, gémissant sur l’ingratitude des princes, laissant l’Allemagne à son destin, l’Europe qu’il a dominée à ses affaires !

Les batailles électorales ont certes leur intérêt et sont toujours curieuses à suivre, puisqu’elles décident de la politique des plus grands pays comme des plus petits. La bataille belge, qui en était encore l’autre jour à ses préliminaires, a été livrée avec toute l’ardeur que déploient les partis autour d’un scrutin si décisif et a maintenant dit son dernier mot. Elle a été l’événement du 14 juin et a fait de cette journée presque une journée historique, — historique du moins en Belgique. En réalité, quelques efforts qu’on ait faits pour rapprocher les partis, pour établir entre eux une sorte d’accord ou de trêve dans l’intérêt de l’œuvre commune de la révision constitutionnelle, la vieille lutte entre libéraux et catholiques s’est ravivée dans toute sa force. Partout, dans les provinces belges comme à Bruxelles, les deux partis se sont retrouvés en présence avec leurs traditions, leurs mots d’ordre, leurs drapeaux et leurs passions ; partout le combat a eu ses incidens, ses péripéties et ses alternatives. Au demeurant, le résultat, sans être incertain, est assez partagé pour n’être bien décisif ni pour les uns, ni pour les autres. Jusqu’ici, depuis nombre d’années déjà, les catholiques avaient une immense majorité dans les deux chambres. Au sénat, ils étaient 50 contre 19 libéraux ; dans la chambre des représentans, sur 138 membres, la proportion entre catholiques et libéraux était de 94 à 44. Le nombre des sénateurs et des représentans a quelque peu