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simplement à être des dupes ou des complices, des naïfs et des impuissans. C’est fort bien ; mais eux-mêmes, ces royalistes, avec leurs tactiques, leurs combinaisons et leurs alliances, qu’ont-ils fait depuis vingt ans pour se montrer si difficiles ? Ils ont eu un moment le pouvoir, ils ont eu plus d’une fois bien des chances au moins apparentes ; ils ont essayé de tout, même des aventures équivoques : ils ont vu périodiquement s’évanouir leur rêve de restauration monarchique. Et ce qu’ils n’ont pu faire depuis vingt ans dans des conditions plus favorables, avec une force conservatrice encore intacte, comptent-ils pouvoir le faire aujourd’hui avec une armée qui se débande ou se divise, avec une clientèle catholique qui leur échappe, qu’ils sont réduits à disputer au pape lui-même ? Ils ne représentent plus, avec leur déclaration récente, qu’une irréconciliabilité stérile, un regret respectable, mais vain, — et eux qui ont si peu réussi avec leur politique, ils ont assez mauvaise grâce à combattre ou à railler la politique de leurs alliés d’hier. Que, d’un autre côté, les nouveaux constitutionnels rencontrent les antipathies, les hostilités des radicaux, c’est encore plus simple. Les radicaux ne s’y méprennent pas : ils sentent bien que tout ce qui peut ramener la paix morale, l’esprit de conciliation et de modération dans les affaires du pays est la ruine de leur influence. Ils savent bien que s’ils ont pu jusqu’ici exercer un certain ascendant, s’imposer à beaucoup de républicains modérés et même aux gouvernemens, c’est que la république pouvait paraître encore contestée ; c’est qu’il y avait entre les conservateurs et les modérés républicains une équivoque qui faussait la situation tout entière. Aujourd’hui, l’équivoque se dissipe, la république est hors de cause, et les radicaux feront tout ce qu’ils pourront pour empêcher des rapprochemens qui menacent leur règne. Ils célébreront, au besoin, les royalistes irréconciliables pour leur fidélité chevaleresque plutôt que ces conservateurs ralliés qui ont la prétention d’entrer dans la république !

Oui, assurément, les constitutionnels qui viennent de prendre leur rôle sans affectation et sans subterfuge ont une tâche difficile. Ils ont contre eux ceux qui ne veulent pas de la république du tout et ceux qui veulent perpétuer une république à leur image, faite avec leurs passions et leurs préjugés, les fidèles quand même de la royauté et les sectaires du radicalisme. Ils ont pour eux la raison qui est encore une force, le travail qui s’accomplit partout et qui tend à une transformation des vieux partis, les vœux d’apaisement qui sont dans le pays, l’intérêt même de toutes ces questions sociales qui ne peuvent être résolues que par l’accord de toutes les bonnes volontés, l’avènement croissant de générations nouvelles étrangères aux conflits stériles du passé. Ils ont pour eux l’instinct de cette vieille vérité que les régimes sérieux, destinés à durer, ne se fondent que par la modération, par la libérale alliance de toutes les forces d’une nation, et qu’il n’y a que