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mal rôti, l’âme de Pat est toujours tournée à la drôlerie, to fun and ridicule. » Comme Pat, il était naturellement gai et facile à amuser. Il remerciait le ciel de lui avoir donné un ressort, une élasticité d’âme, qui lui permettaient de porter légèrement le poids du jour. Il laissait à d’autres le plaisir de creuser dans le noir, de se noyer dans leurs chagrins.

Il avait bien l’esprit de son état et toutes les marques d’une irrésistible vocation. Il était né pour devenir un admirable conteur. Qu’ils s’appellent l’Arioste ou Le Sage, Mendoza ou Alexandre Dumas, les vrais conteurs, ceux qui content aussi naturellement que l’oiseau vole ou chante, sont toujours d’un naturel gai et optimiste. Ils admettent assurément qu’il se passe dans ce monde beaucoup de choses fâcheuses, funestes, absurdes et déplorables ; mais pour peu qu’elles méritent d’être racontées, ils bénissent la Providence qui les approvisionne de sujets. « Apprenez de moi, mistress Hodoway, s’écriait l’antiquaire Oldbuck, que la médecine vit de nos maladies, le clergé de nos péchés et la justice de nos sottises et de nos malheurs. » Sottises, malheurs et péchés, le conteur vit de tout cela, et il trouve que ce misérable monde a du bon. Walter Scott se vantait de n’avoir pas d’autre muse que sa belle humeur ; c’était la seule qu’il invoquât. Quoiqu’il eût le pied bot et que ses rhumatismes l’aient souvent tourmenté, aucun poète de ce siècle ne fut plus étranger à nos mélancolies feintes ou sincères, à notre pessimisme dogmatique et pédant, à notre philosophie morose, à notre hystérisme littéraire. C’est par là qu’il est si loin de nous, c’est par là qu’il s’est perdu dans notre estime. Nous ne goûtons plus que les talens qui ressemblent à des maladies.

Walter Scott était un romantique de belle humeur, un conteur de tragiques légendes, qui avait l’imagination gaie ; ce fut son originalité comme écrivain. Son caractère valait son génie ; il fut un parfait gentleman de lettres, exempt de tous les défauts de sa profession. Au temps de sa jeunesse, comme il l’a remarqué lui-même, il était de tradition d’obliger tout jeune Écossais, quels que fussent ses goûts, son tempérament, ses aptitudes, à faire des études d’avocat ou un apprentissage dans le cabinet d’un avoué. « Les Écossais regardent Thémis comme la plus puissante des divinités. L’enfant est stupide, la loi lui aiguisera l’esprit ; est-il trop vif, trop ardent, la loi le calmera ; a-t-il du bien, il ne tiendra qu’à lui de devenir shérif ; est-il pauvre, il se souviendra que les plus riches avocats ont commencé par être gueux. » Quoiqu’il rêvât de porter un jour l’épaulette, on le condamna, lui aussi, à devenir homme de loi. Il avait été clerc chez son père ; il débuta au barreau, devint shérif du comté de Selkirk, puis greffier des sessions à Edimbourg. Il s’acquitta toujours de ses fonctions avec une irréprochable probité et sans dégoût ; il était homme de conscience, et rien ne le dégoûtait ; infiniment curieux, il