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remarque une analyse très délicate des effets lumineux. En général, même chez MM. Martin, Montenard, Barau, Damoye, il y a tendance à traiter le paysage en décor, et par grandes taches. Quelques autres cèdent même à des influences plus fâcheuses, ils s’abandonnent à l’imitation des procédés conventionnels que des artistes bien doués peut-être, mais pour lesquels l’observation de la nature n’est qu’un prétexte et non un moyen, MM. Monnet et Sisley, ont récemment mis à la mode. Ces procédés sont, assurément, d’une transmission facile, mais ils suppriment chez l’artiste la sincérité, l’émotion personnelle, la peine et le plaisir de la recherche.

Il serait fâcheux de voir tomber dans ce traquenard de jeunes peintres, dont la brosse est encore pesante et embarrassée, mais qui regardent les choses avec une conscience visible, même dans leurs maladresses, tels que MM. Lebourg, Le Camus, Lepère. Ces artistes sont évidemment séduits par la liberté puissante avec laquelle certains étrangers, notamment M. Baertsoen, dans sa Ville flamande, le soir, et M. Thaulow, dans ses études de Norvège, traitent le paysage d’après nature, mais cette liberté ne s’acquiert qu’au prix d’études lentes, indépendantes, patientes, et nous nous souvenons des premières apparitions à nos Salons de MM. Baertsoen et Thaulow où l’on voyait en eux des travailleurs attentifs. La moralité qu’il y a, en somme, à tirer d’une promenade au Champ de Mars aussi bien que d’une promenade aux Champs-Elysées, c’est que l’avenir appartiendra, comme le passé leur appartint, aux peintres qui ne dédaignent pas d’apprendre avant tout leur métier, et que dans la crise que traverse notre école, crise dont le plus grand nombre commence à comprendre les dangers, le salut ne peut être cherché que là où les peintres de tout temps l’ont toujours trouvé, dans une étude plus consciencieuse de la vérité foncière des êtres et des choses, dans une étude plus approfondie de leur organisme aussi bien que de leurs apparences. Cela s’appelait autrefois l’étude du dessin ; appelons-le, si vous le voulez, l’étude de la nature, mais reconnaissons une bonne lois que, hors de cette étude continue et attentive, il n’y a, pour tous les artistes, même pour les peintres, que confusion, efforts inutiles et impuissance.


GEORGE LAFENESTRE.